Agraw raconte Matoub et Takfarinas

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Boudjemaa . Un artiste engagé et un militant
IL EST REVENU SUR SON LONG PARCOURS
«Mon meilleur souvenir avec Matoub Lounès, c’est le jour de mon mariage en 1988. Il était invité à ma fête à Bgayet et il avait chanté devant 30.000 personnes», a dit Boudjemaâ Agraw.
C’est un artiste sincère qui s’est livré à cœur ouvert à l’occasion des rencontres mensuelles organisées par l’animateur Slimane Belharet à Tizi Ouzou. L’invité, cette fois-ci, est venu de la wilaya de Béjaia. C’est un artiste engagé et un militant qui a bravé la peur lors des moments difficiles.
Boudjemaâ Agraw était là avec, dans son escarcelle, des tas d’informations et d’anecdotes mais aussi un précieux CD où il est question de l’inévitable Matoub Lounès quand il s’agit de parler d’engagement et de chanson kabyle. « C’était le jour du mariage du joueur de la JSK, Hakim Amaouche. Ce jour-là, Matoub et moi étions présents et nous avions chanté», révèle Boudjemaâ Agraw.
Ce moment était d’ailleurs le plus fort de la rencontre tenue dans la salle du petit théâtre de la Maison de la culture de Tizi Ouzou.
Les lumières s’éteignent et l’on aperçoit un Matoub que l’on a toujours du mal à croire qu’il n’est plus de ce monde. Matoub était assis sur une chaise au beau milieu de tous les invités de la fête du mariage traditionnel, comme au bon vieux temps. Il avait une tasse de café à la main. On dirait un anonyme tant sa modestie était frappante.
Puis, soudain, l’image montre le Rebelle avec sa mandoline et son sourire sur un fond triste comme s’il savait depuis longtemps…
Matoub chante alors «A chikh Amokran » de l’inénarrable El Hasnaoui. La salle est émue. Boudjemaâ Agraw aussi. Slimane Belharet également. Avec un tel cadeau à son public de Tizi Ouzou, Boudjemâa Agraw a fait preuve d’une grande humilité.
Contrairement à beaucoup d’artistes, Boudjemaâ Agraw n’est pas gangrené par le virus de l’égocentrisme. Il a préféré partager ces moments touchants même s’il savait que Matoub, même mort, lui ravirait la vedette. Mais quand on est pétri de valeurs humaines et un vrai artiste et surtout un grand homme, on ne pense pas tellement à ces choses superficielles.
Boudjemaâ Agraw a beaucoup parlé lors de cette rencontre. Il a évoqué notamment son village natal Chemini et sa région Sidi Aïch, sa wilaya Bgayet, la Kabylie et l’Algérie. Il est revenu sur l’époque du parti unique quand, pour organiser une simple rencontre comme celle-ci, il fallait passer par la police et le parti et tout ce qui s’ensuit… Ses premiers pas dans la chanson remontent au début des années 1970. A Alger, il fréquentait des étudiants à l’Ecole polytechnique à l’instar du poète et écrivain Moh Cherbi.
«Nous correspondions avec l’Académie berbère de Bessaoud Mohand Arab. On recevait sa revue. Puis quand je suis parti en France, nous avons constitué un groupe de militants de la cause berbère, notamment avec Matoub Lounès et d’autres personnes pour défendre nos idées et notre identité. A l’époque, en chantant, nous accordions plus d’importance à la poésie et il y avait plusieurs autres groupes comme Idurar, Igudar…», se souvient Boudjemaâ Agraw, toujours aussi jeune, toujours aussi beau, malgré ses soixante ans et ses cinq enfants dont l’ainée est à l’université de Béjaïa.
Ce dernier est longuement revenu sur les années passées avec le chanteur Takfarinas qui a démarré dans la chanson dans le cadre du groupe Agraw. Avant d’aller en France, Tak avait déjà produit son premier album en Algérie puis une fois à Paris, il voulait en enregistrer un autre.
«A l’époque, je travaillais aux éditions Azwaw de Idir. Takfarinas est venu à cette maison d’édition avec son mandole dans le but d’enregistrer. Il m’avait dit qu’il n’avait pas de maquette. Il l’a faite sur place dans le bureau. J’ai constaté qu’il chantait très bien. Il chantait mieux que moi. Mais aux éditions Azwaw, le programme était trop chargé et on lui a demandé de revenir dans six mois pour enregistrer. J’ai lu sur son visage une grande déception. Alors, je lui ai proposé d’aller aux éditions Triomphe musique. Et là, Arezki Baroudi lui dit qu’il allait enregistrer dans une semaine. Lors d’un gala à l’Olympia avec Idir, Malika Domrane, Brahim Izri, en 1980, nous avons interprété, Takfarinas et moi, deux chansons ensemble. Et c’est à partir de la réussite de ce passage qu’on nous suggéra de chanter ensemble dans un groupe. C’est ainsi que le groupe Agraw est né », relate encore l’invité de Slimane Belharet.
Boudjemaâ Agraw revient ensuite sur son parcours avec son retour à la chanson en solo suite à sa séparation d’avec Takfarinas, qu’il regrette du reste. C’était en 1984 avec un album où il parlait de 18 millions d’algé-«riens» et 2 millions d’Algé-«rois». Agraw est également revenu sur le premier album de Matoub: «C’était en 1978. J’étais aux éditions Azwaw. Matoub est venu enregistrer son premier album Ayizem. Je l’ai connu pour la première fois au studio d’enregistrement Azwaw ». Agraw déclare sincèrement avoir enregistré certaines chansons qu’il juge de mauvaise qualité.
L’évidente régression de la chanson kabyle a été également commentée par l’orateur qui a rappelé qu’à l’époque de sa jeunesse, ses amis et lui, commentaient longuement les poèmes et les vies de Baudelaire, de Victor Hugo et d’autres grands poètes universels.
Agraw a estimé que la chanson engagée est toujours d’actualité car tamazight n’est pas encore une langue officielle et elle n’a pas la place qui devrait être la sienne malgré les grandes avancées qu’elle n’a pas manqué de connaître ces dernières années.
«Quel est ton meilleur souvenir avec Matoub Lounès?», a demandé un fan présent dans la salle. «Il y en a tellement mais le meilleur est sans doute le jour de mon mariage à Bgayet. Matoub était invité à ma fête et il avait chanté devant trente mille personnes», a conclu l’invité de Parole aux artistes.
Par Aomar MOHELLEBI – Dimanche 04 Decembre 2011
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