Algérie 2012: Bejaïa, ville d'un pays sans Etat

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Centre ville de Bejaia, mars 2012 Photo © P.Puchot
En 2012, l’Algérie est un pays composé de territoires différents, parfois dominés par l’homme, mais rarement par la puissance publique. Le voyageur qui se rend en Kabylie, petite ou grande, en prend immédiatement la mesure : Bejaïa – jadis capitale du Maghreb, aujourd’hui ville moyenne de 200 000 habitants située à 250 kilomètres à l’est d’Alger – est un chaos urbain, empilement de monstres de béton. Des centaines d’immeubles poussent partout, contre les parois des montagnes comme en plein centre d’une ville aux trottoirs lézardés, boueux sous la bruine du printemps.
«Ici, c’est l’anarchitecture.» En bon journaliste d’El Watan, le quotidien algérien francophone, Djamel Alilat cultive le sens de la formule. «C’est un mot qui pourrait caractériser l’Etat des villes algériennes aujourd’hui, explique-t-il. Il y a tous les styles d’architectures, mais pas d’urbanisme. La ville n’est pas pensée, sa croissance et l’exploitation des espaces sont anarchiques, au gré de la poussée démographique. C’est particulièrement vrai pour Bejaïa.»
Né à Boudjelil, un village de la montagne à quelques dizaines de kilomètres, Djamel Alilat a toujours vécu en Kabylie, au cœur de la wilaya (préfecture) de Bejaïa, qui compte au total un million d’habitants répartis dans 52 communes. C’est la plus grande concentration de population du pays, après la région de Tizi Ouzou.
Ce phénomène « anarchitectural » a commencé dans les années 1970, lorsqu’une série de mesures politiques a peu à peu dévasté la paysannerie, puis poussé les Algériens à aller chercher du travail en ville. L’exode rural a commencé là, jusqu’à son paroxysme, lors de la décennie du terrorisme, qui a contraint les habitants à fuir la montagne pour se réfugier en ville. Depuis, la crise du logement est devenue un enjeu national. Pour tenter de contenir la colère du peuple, l’Etat a multiplié les formules : logement rural, promotionnel, social… sans que l’offre rattrape jamais la demande. D’où une flambée des prix de l’immobilier.
Pour s’offrir un F3 à Bejaïa, il faut débourser entre 30 000 et 50 000 euros, si l’on a la chance d’être introduit et de figurer en bonne place sur les listes d’attente. Un appartement de la même surface peut monter jusqu’à 100 000 euros si l’acquéreur potentiel ne bénéficie pas d’un bon réseau relationnel.
Coincée entre la mer et la montagne, les travaux et le béton, la ville déborde, transpire, étouffe. Alors, parfois, pour se détendre, les habitants partent en forêt. Là, c’est une autre surprise qui les attend : «L’an passé, je me suis fait arrêter avec des amis, raconte Djamel Alitat. On était en train de chasser le sanglier, quand une poignée de terroristes nous tombent dessus. On a eu droit à une demi-heure de prêche : “Pourquoi chassez-vous le sanglier, c’est un péché…” Parce que le sanglier, c’est un gros cochon. Mais on a trouvé la parade, on leur dit : “Pas du tout, on ne le chasse pas pour le manger, mais parce qu’il pullule et qu’il détruit nos jardins et nos cultures.” Et ils nous ont laissés aller, après nous avoir servi leur discours habituel : “Nous ne sommes pas contre le peuple, mais contre l’Etat, les gendarmes, tous ceux qui ont pris les armes contre le peuple…” J’ai eu la peur de ma vie, parce que j’avais sur moi ma carte de journaliste, et qu’ils considèrent les journalistes comme des soldats de l’Etat, qui combattent avec leur plume…»
L’anecdote témoigne d’une époque où la Kabylie était à feu et à sang, d’une décennie du terrorisme qui a contribué à remodeler complètement la ville, jusqu’à noyer son centre historique. «Le terrorisme n’influe plus tellement sur la vie des gens, car il est circonscrit à quelques régions montagneuses, tempère Djamel. Mais à côté, on a tellement de problèmes plus sérieux… Je peux vous dire que le terrorisme routier fait beaucoup plus peur aux habitants de Bejaïa ! Les gens meurent sur les routes, parce qu’ici, c’est n’importe quoi.»
Ce décor une fois planté, le visiteur aura du mal à voir en Bejaïa cette ville dont la simple évocation laisse les Algériens rêveurs, et pour laquelle on quitte volontiers la capitale, avec l’espoir de pouvoir y rester. Et pourtant…
Bejaïa, libre et permissive
« Je suis venue d’Alger, où je suis née ; Bejaïa, ce fut vraiment un coup de cœur.» Cet après-midi-là, au cœur du centre-ville historique, nous faisons la connaissance d’Imène Salah, 22 ans, assise à une table du café Richelieu. Cet ancien dancing borde la ravissante place Gueydon, toute sertie de pavés, et offre une vue imprenable sur le port. «Il y a quatre ans, j’ai visité la ville, j’en suis tombée amoureuse immédiatement. J’ai eu vite fait de transférer mon dossier pédagogique à Bejaïa», confie la jeune étudiante.
Le dynamisme culturel de la ville attire : en sous-sol du dancing, l’association des « rencontres cinématographiques de Bejaïa » organise une partie de ses projections, très prisées. C’est aussi là que l’on croise Yassine, 26 ans, électricien reconverti en régisseur principal pour les rencontres du film documentaire, Bejaia doc, qui ont lieu chaque année au mois d’octobre.
Six à sept cinéastes en herbe profitent en outre chaque année d’une autre initiative de l’association Cinéma et mémoire, créé en 2007 pour porter Bejaïa doc. En 2011, cette école de formation a créé une nouvelle section pour aider ceux qui le souhaitent à lancer leur ciné-club, et par là-même, tenter de fédérer un réseau national de cinéphiles.
Une initiative à laquelle participe Imène Salah, qui entame sa quatrième année en Kabylie : «Ici, je peux me permettre de sortir sans être harcelée, sans que l’on m’insulte, ce qui n’est pas possible dans la plupart des autres villes du pays.» Bejaïa, c’est aussi cette ville «permissive, où les Algériens viennent s’encanailler, explique Djamel Alilat. Il y a l’alcool, les discothèques, les femmes… On ne trouve pas un tel environnement ailleurs en Algérie. En été, c’est particulièrement vivant. Dans les années 1990, le pays s’est fermé, les Algériens ne pouvaient pas sortir. Ils se sont réfugiés là où l’accueil était le plus chaleureux. Ce fut notamment à Bejaïa, et beaucoup de gens, de l’ouest notamment, sont venus acheter des résidences secondaires.»
«Le problème, c’est la cité universitaire, poursuit la jeune fille. Nous payons un prix symbolique, 400 dinars (4 euros) à l’année, inscription pédagogique comprise, et le prix du ticket au restaurant universitaire est bloqué à 1 dinar (1 centime d’euro). Mais nos chambres sont minuscules, nous sommes 6 à dormir dans la même pièce… Le matin, on se marche littéralement dessus. Une nouvelle résidence a été construite, mais c’est à 25 kilomètres de la ville, il y a deux heures de transport pour aller en cours…»
C’est la limite de ce petit paradis de Kabylie. Pour les habitants du centre-ville, Bejaïa est un rêve. Pour les autres, un cauchemar. Sans développement urbain possible, la ville menace d’asphyxier. Certains entrepreneurs se battent pourtant, parfois avec une certaine réussite.
L’impossible développement économique
Soixante kilomètres de route, mais 3 heures 30 de trajet… Quitter Bejaïa pour se rendre dans la zone industrielle d’Akbou relève de l’exploit. Cinquante ans après l’indépendance, l’Algérie attend encore son autoroute est-ouest, toujours en travaux. L’axe unique qui relie Bejaïa et son port à Alger, à travers la vallée de la Soummam, reste une pitoyable route à deux voies, saturée de camions.
C’est pour rencontrer le patron de la société Général Emballage que nous slalomons, ce matin pluvieux de mars, entre les nids de poules. Leader sur le marché du carton ondulé, qui sert à transporter tout ce qui n’est pas liquide, Général Emballage a pour client toutes les grandes entreprises de la région, mais aussi des géants comme Pepsi, Coca-Cola, Samsung. L’entreprise revendique 130 000 tonnes de capacité de production par an – ce qui correspond à 80 % du carton ondulé consommé en Algérie en 2011 –, grâce à ses trois usines, ouvertes à Sétif, Oran et Akbou, là où tout a commencé pour la famille Battouche.
En 2011, l’entreprise affiche 42,5 millions d’euros de chiffre d’affaires (en progression de 20 % sur un an), pour 1,5 million de résultat net et près de 700 employés. «Nous sommes les derniers arrivés sur le marché, en 2002 ! exulte le patron, Ramdane Battouche. Jusqu’à aujourd’hui, aucun dividende n’a été versé aux actionnaires, tout a été réinvesti dans l’entreprise.» Après cinq années de déficit, son entreprise est venue à bout de la concurrence. Le rival avait un nom : la société d’Etat Tonic Emballage, immense complexe papetier d’Alger, qui emploie 4 000 salariés. L’un des premiers d’Afrique, mais aussi un symbole, pour de nombreux Algériens, de la corruption. Après avoir dilapidé les deniers publics au gré d’investissements sans rapport avec le marché, l’entreprise a finalement été placée en redressement judiciaire, laissant le champ libre à Général Emballage.
L’histoire de l’entreprise des Battouche dit beaucoup du potentiel économique régional, comme de ses limites. C’est parce qu’il a revendu la laiterie familiale à Danone, que Ramdane Battouche, 46 ans, a pu monter son entreprise et surmonter les premières années difficiles. C’est aussi grâce à son culot que Ramdane Battouche a construit la première usine, avant même d’obtenir, des années plus tard, le permis de s’implanter. C’est toujours grâce aux liquidités dont il dispose, et l’entrée en 2007 d’un fonds d’investissement dans le capital, qu’il peut faire face aux fluctuation dues à l’état du pays et de ses infrastructures.
Le premier souci du patron de Général Emballage est l’environnement économique, dans un pays qui ne compte toujours pas de circuit de distribution agréé pour l’agro-alimentaire, et laisse une place immense à l’économie informelle. «L’Algérie aujourd’hui, c’est un monde à part, explique Ramdane Battouche. Tout reste à faire et c’est donc un marché très porteur. Tout est importé, les matières premières ne sont pas produites en Algérie, 80 % des intrants de notre industrie (papier, encre, etc.) sont importés. C’est la même chose dans l’agro-alimentaire. Jusqu’à très récemment, nous importions 100 % du lait consommé par les Algériens. Notre potentiel de développement est donc énorme.»
Porté par l’argent des émigrés et la réussite de quelques entreprises locales, comme l’ancienne laiterie des Battouche, Bejaïa regorge d’ailleurs de semouleries, limonadiers, fabricants de biscuits, et accumule les réussites dans le secteur agroalimentaire. Cevital, la plus grosse entreprise algérienne du secteur, est implantée dans la région, de même que Soummam, premier producteur de produits laitiers devant Danone, ou Ifri, qui produit de l’eau minérale et des sodas. «Pour quelqu’un de ma spécialité, il y a des possibilités de trouver du travail ici, explique la jeune Imène, qui achève un master en micro-biologie. C’est aussi pour ça que j’ai choisi de venir, il y a quatre ans…»
«L’envers de la médaille, poursuit l’industriel, c’est que rien n’est fiable. Nous avons une équipe juridique qui travaille en permanence sur les nouvelles lois, qui changent tout le temps. Autre chose, la route : nous faisions avant trois rotations par camion avec le port de Bejaïa. Aujourd’hui, elle est tellement dégradée que si nous arrivons à en faire une, c’est une bonne journée. Nous avons perdu des clients à cause de cette incertitude permanente. Et puis, le malaise social en Algérie est tel que les gens se mettent à couper les routes pour tenter de se faire entendre. Le pays ne peut pas fonctionner ainsi. Je suis obligé de mobiliser 40 camions, quand 10 suffiraient si le trafic était fluide. L’autre problème, c’est la formation. Il est très difficile de trouver un ingénieur qualifié. La formation en Algérie, c’est une catastrophe.»
L’absence d’Etat conduit parfois à des incidents tragiques. En janvier 2012, la neige a envahi les montagnes. A partir de 500 mètres d’altitude, les routes étaient coupées, l’économie paralysée. Plusieurs dizaines de villages, dont celui de Djamel Alilat, ont été bloqués plus d’une semaine, sans possibilité de ravitaillement ni de soins d’urgence. Plusieurs habitants sont morts pendant la période. «Ce qui fut positif, ce fut l’entraide entre les habitants, raconte Djamel. Mais au bout d’une semaine, les autorités n’avaient toujours pas réagi ! Les gens savent qu’ils ne peuvent pas compter sur l’Etat. D’ailleurs, il n’y a pas d’Etat. Il faut s’organiser, pour tout, pour l’eau, pour ramener l’électricité… Il y a d’ailleurs là-haut plusieurs villages qui sont totalement autonomes, à tous les niveaux, y compris scolaire.»
« Bejaïa, portail de l’Algérie sur le monde »
Pour les optimistes, ce constat paradoxal d’un pays tiraillé entre un dynamisme indiscutable et la paralysie urbaine poussera nécessairement l’Etat à agir. D’autant que les plans pour le développement de la région sont déjà prêts.
« En 2011, j’ai eu la chance d’être invité au Maroc pour visiter le port de Tanger, confie le PDG de Général Emballage. Ils ont réussi quelque chose d’exceptionnel, qui dépasse de très loin l’Algérie. Eux sont obligés de développer leur économie. Nous, nous en sommes toujours à une économie rentière. Il est temps de développer autre chose, et en premier le secteur des PME/PMI. Les transports, les douanes…, la corruption est partout, rien ne fonctionne correctement ici. Pour importer une carte électronique qui vaut 200 euros, j’ai dû payer 1 000 euros pour établir le certificat de conformité ! On ne demande pas d’aide, seulement de pouvoir travailler.»
Ce retard économique de l’Algérie, qui comptait pourtant en 2011 plus de 180 milliards de dollars de réserves, est visible à chaque coin de rue, quand la ville de Bejaïa ne compte… qu’un seul feu rouge pour toute la ville. Certains imaginent pourtant pour Bejaïa, locomotive de la région, une Algérie du XXIe siècle, moderne, ouverte sur le monde, délivrée de l’économie de rente pétrolière.
Avec plus de 40 salariés, Nacer, 52 ans, est à la tête du plus important cabinet d’architectes de la wilaya. Mais la vue qu’il a de son bureau constitue un défi permanent à sa profession. En plein centre-ville, entre les deux flancs de montagnes couverts de constructions anarchiques et illégales, on aperçoit la mer. Puis, au pied de l’immeuble, encastré entre deux cités dortoirs, une zone industrielle pour stocker le carburant, occupée par Naftal, filiale de l’entreprise publique pétrolière Sonatrach… Tout un symbole.
« L’urbanisme, c’est d’abord une culture, explique l’architecte. Tous ces gens, qui occupent les flancs des montagnes, sont venus avec leurs habitudes rurales. Dans les villages kabyles, les normes ne sont pas définies par les lois, mais par les assemblées de sages. On cherche uniquement le confort intérieur. Le droit d’ouverture, de passage, de jour, de vue, ils n’en ont aucune idée. De même que l’usage de la voiture, dont ils n’ont pas grande habitude. On se retrouve donc avec des petites ruelles, congestionnées. La puissance publique ne fait rien respecter, et n’a aucune réflexion sur le sujet. Il n’y a pas d’autorité, il n’y a pas d’Etat. Pourquoi ne pas conditionner l’aide au logement à l’amélioration des habitations, pour se développer plus harmonieusement ?»
Son bureau d’études est chargé, depuis un concours organisé par les autorités en 2003, de dresser un nouveau plan d’urbanisme pour Bejaïa. Après six années et demie de travaux, le plan a été présenté fin 2009. Baptisé «Bejaïa, portail de l’Algérie sur le monde», le projet engagerait les pouvoirs publics sur le deux prochaines décennies et remodèlerait complètement la ville (pour en consulter les détails, cliquez sur l’onglet Prolonger).
Les idées ne manquent pas : délocaliser la partie du port située en bas de la place Gueydon pour en faire une marina ; créer un tramway pour désengorger le centre-ville ; nettoyer la Soummam, fleuve infecté par tous les déchets d’une ville qu’il traverse ; créer une liaison ferrée reliant la nouvelle cité universitaire à la faculté ; préserver le côté sud, encore vierge, d’un littoral long de 90 kilomètres, pour faire émerger un tourisme haut de gamme… Pour l’heure, seule l’étude de faisabilité pour aménager la Soummam a été mise en œuvre par les pouvoir publics.
«L’argent est là, nous ne sommes plus dans la crise des années 1990, dit Nacer. Mais le wali est dépassé, il ne peut rien décider seul. Bejaïa est très en retard par rapport aux autres villes algériennes, alors qu’elle est beaucoup plus vivante. Le blocage est politique. L’Etat a les moyens de développer la région la plus dynamique d’Algérie, qui compte le second port du pays malgré son étroitesse. Le fera-t-il ? Cela décidera en partie de l’avenir de l’Algérie.»
Mediapart.fr: De notre envoyé spécial en Algérie. 20 03 2012

1 thought on “Algérie 2012: Bejaïa, ville d'un pays sans Etat

  1. Bonsoir à tous
    Je vais donc vous reparler de monsieur Abdenour DJELLOULI, un imminent architecte. Il s’intéressait à l’urbanisme et au logement social en Algérie.
    « Réflexion sur l’espace et son appropriation en Algérie :
    a- La beauté existe en certains lieux, pourquoi ne pas s’en inspirer :
    – la Casbah
    – Les avenues hausmanniennes revisitées à la façon méditerranéenne à Alger
    – Beauté de certains sites, de la lumière…
    b- Ne plus jamais ABANDONNER l’espace, se le réapproprier d’une manière durable ! Les autorités algériennes doivent prendre en charge la restructuration de l’espace urbain et donner aux villes une identité algérienne.
    c- « Dé-ghettoïser » les zones périphériques des grandes villes, comme les quartiers : El-Harrach Bouzareaha… Arrêter l’exode rural !
    d- Se ré-inspirer de Pouillon qui a commencé un beau projet en 1955,
    – Structuration des immeubles autour de gros blocs de pierre taillée, assemblés les uns aux autres. Procédés de construction originaux et simples
    – Travail avec des entreprises locales bien structurées (acquisition d’un savoir faire local ! Une main-d’œuvre algérienne) en reprenant des détails de l’architecture traditionnelle (introduction de la céramique et du bois)
    – Les espaces extérieurs sont traités avec soin, des places qui s’ouvrent sur la mer…
    e- Décalage des populations traditionnelles avec le mode de vie de « Modernité » Il parle ici d’une modernité autoritaire et préfabriquée ! Pour les dirigeants algériens :
    – L’Algérien doit apprendre brutalement à vivre dans des bâtiments modernes
    – Il doit respecter les espaces extérieurs comme à l’occidentale
    f- Le Comédor créé après l’indépendance n’a fais que du diagnostic, il a relevé et analysé la situation du logement à Alger alors qu’il devait surtout construire et urbaniser !
    g- Les demandes de permis de construire s’entassent pendant des années mais on ne règle rien du tout.
    h- Les personnes privées construisent illégalement sur les terrains agricoles (exemple, la plaine de Mitidja) des petites villes sans cohérence, sans équipement, sans routes, sans assainissement, sans eau et ni électricité. Lui il défendait une architecture qui tendrait vers la conformité de la pratique culturelle de l’usager et du bâti
    i- Une erreur à l’époque de chadli avec l’accord Habitat, l’Algérie travaille avec des entreprises étrangères (françaises : Bouygues, Dumez, SAE, espagnoles, danoises…) Mais tous les chantiers ont été menés par les cadres étrangers et à leur départ il ne restait plus rien du savoir faire !
    j- Construire n’importe où, sans réflexion de la nature de la population qui occupera les logements, ni analyse de la déstructuration de l’environnement induite par la construction.
    k- Construire pour les Algériens en recherchant l’adéquation entre les habitudes de la population et son habitat. Exemple de la cité des cents colonnes à l’image des KSOURS, cet habitat traditionnel du sud de l’Algérie. Cette cité est toujours debout et l’ensemble fonctionne encore ! EL-ASNAM est le 2ème exemple, après la destruction de la ville par le fameux séisme, on a construit des préfabriqués pour y fourguer les populations sinistrées ! Devinez ce qui demeure toujours attractif ? Le reste de la ville traditionnel encore debout ! Ehhhhhhhh oui ! »
    Voila un peu de ce que dénonce cet imminent architecte ! Je conseil à bien des jeunes architectes, des étudiants futures architectes et tous ceux qui aspirent à une urbanisation de nos villes de reprendre les travaux de ce courageux monsieur !
    Permettez-moi de rendre encore une fois hommage à ce saint homme :
    Un architecte nous a quitté : Abdenour Djellouli.
    aoudjhane le Mar 16 Jan 2007 – 9:11
    Abdenour Djellouli. Architecte
    La légende et le sens
    C’était le sujet de son projet de fin d’études à Paris d’où il revint en 1976, enfin architecte, piaffant d’impatience, passionné par cette discipline qu’il entendait comme une machine intelligente à dispenser du bonheur. Il avait appris hélas que la fameuse berge ne deviendrait pas la Grande Promenade des Algériens qu’il avait dessinée.
    Il avait vu se dresser les cuves de métal et les structures de cette usine qui bientôt s’appliquera aussi à dessaler notre mémoire d’un trésor irremplaçable : la vue magnifique sur la ville et la rade jusqu’à la pointe légendaire de l’Amirauté, ce travelling quasi cinématographique de la route Moutonnière quand on entre à Alger. C’était à ses yeux une page de plus au sinistre mode d’emploi qui pourrait s’intituler : « Comment rendre un pays de plus en plus affreux quand il n’est déjà pas facile à vivre ? » Les monuments délaissés ou pervertis, le mauvais goût porté par l’argent inculte, l’enracinement d’un constructivisme d’Etat dédaigneux de la réflexion. Il avait vu enfin La Casbah — ce lieu qui a donné son nom au pays et par conséquent à chacun de nous — se nécroser, pendant même qu’on la clamait joyau du patrimoine universel et preuve de la vaillance millénaire de notre peuple. Tout cela le minait, autant que sa maladie, affrontée plus de 4 ans avec une incroyable dignité, jusqu’à l’orée de ses 56 ans. A son retour, il s’était lancé à la recherche d’une nouvelle architecture, résolument moderne mais inspirée de notre patrimoine, authentique mais libérée du folklorisme qui fait passer une arcade par ci, une faïence par là, comme une marque d’algérianité, quand l’école néo-mauresque, archétype de l’architecture coloniale, faisait déjà mieux en disposant d’artisans algériens émérites. Dans son travail, comme dans son vécu, il ne cherchait pas l’anecdote et le détail, mais la légende et le sens. Il prônait, à la suite des grands architectes fascinés par les édifices traditionnels d’Algérie, combien ces derniers étaient modernes avant l’heure, non pas dans leurs décors, mais dans leurs structures mêmes, leur adaptation subtile au site et au climat et une gestion rationnelle des espaces. Il croyait en la possibilité d’une architecture algérienne novatrice, fondée sur l’histoire des constructions dans notre pays et une reconnaissance critique des concepts et œuvres des architectes contemporains y ayant travaillé, tels Pouillon, Le Corbusier, Claro et autres. Il se sentait proche du langage architectural de Roland Simounet, seul de ces architectes brillants à être né en Algérie et dont la démarche lui paraissait pertinente. Abdenour Djellouli n’eut pas la possibilité d’affirmer sa démarche. Il n’accéda que rarement aux commandes publiques, incompris des décideurs parce qu’il défendait le droit des architectes à la création, ne tolérant pas que des projets d’intérêt social soient envisagés dans une dérision de pensée et d’objectifs. Pour lui, toute construction devait s’intégrer dans l’harmonie d’un besoin avec une histoire, une culture et un lieu. Très sollicité pour la conception de demeures privées, souvent par des ambassades, des industriels lettrés ou des cadres, il a donné là toute la mesure d’un talent qui rêvait pourtant d’édifices collectifs. Il ne cessait de lire, essais et grande littérature, attentif à tous les arts, fin débatteur d’idées à l’écoute attachante. Il laisse quelques écrits précieux. Sa contribution à la revue Esprit (Spécial avec l’Algérie, parue en janvier 1995, publiée en ouvrage en 1998 aux éditions Odile Jacob, Paris) qu’il avait intitulée « La ville absente » et dans laquelle il traitait du traumatisme de l’espace et de la ville en Algérie. De même, à la même période, il se signala par un article marquant dans Le Monde ainsi que diverses analyses spécialisées. Adepte invétéré de la beauté, il était capable d’aller cueillir sur les flancs du mont Chenoua le spectacle du soleil levant sur les eaux de Tipaza, en discourant de poésie avec un ami. Il considérait le Chouay derrière la place de Chéraga comme le meilleur restaurant de la capitale. Vendredi dernier, dans le cimetière de Sidi Abderrahmane Ethaâlibi, patron spirituel d’Alger, dans ce mausolée où il vécut en partie – son père, Cheikh El Miliani, ayant été près de 30 ans l’imam éclairé de ce lieu – il y avait foule. Une foule émue où se côtoyaient maçons, hauts fonctionnaires, plombiers, grands managers, petits commerçants, artistes, garçons de café, ministres et chômeurs, dans une diversité qui faisait grâce à son respect et sa générosité à l’égard de tout être. L’image d’une Algérie telle qu’il l’avait rêvée. Ensoleillée et fraternelle.
    Ameziane Ferhani, el watan.

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