Marginalisée économiquement : La vallée de la Soummam se cherche une issue

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Vue panoramique sur El Flaye , dans la wilaya de Béjaïa
Vue panoramique sur El Flaye , dans la wilaya de Béjaïa

Par Samira Imadalou
Le développement économique dans la vallée de la Soummam s’est invité au débat à l’occasion du 630e anniversaire de la mort du célèbre jurisconsulte Abderrahmane Awaghlis célébré la semaine dernière (du 20 au 23 juillet 2015) dans la commune de Tinebdar à Sidi Aïch (Béjaïa). Ainsi, en plus des questions culturelles, spirituelles historiques et sociales, la situation économique et les moyens de booster la croissance dans cette région ont été au centre des débats des participants venus nombreux assister à la table ronde sur les perspectives de développement de la région animée en marge du festival.

Opérateurs économiques, cadres originaires de la région, enseignants universitaires, représentants du mouvement associatif de la ville de Béjaïa, élus locaux et citoyens de la région ont longuement débattu sur les perspectives de développement de Sidi Aïch particulièrement, et de toute la vallée de manière globale. Une région, faut-il le noter, en plein essor urbanistique à la faveur des aides octroyées par l’Etat pour la construction de logements. L’engouement est d’ailleurs de plus en plus important pour cette formule.
Cependant, faudrait-il assurer l’emploi pour stabiliser les jeunes diplômés de la région qui recèle pourtant d’importantes potentialités économiques en attente d’exploitation. «C’est bien d’aider les gens à construire leurs propres logements, mais nous avons également besoin de créer des emplois pour éviter l’exode rural et l’immigration», nous dira un citoyen de cette localité.
Le constat est en effet alarmant, la région souffre fortement de l’absence de perspectives en matière d’emplois, mais aussi du manque flagrant d’espaces de loisirs et de détente. A défaut de pouvoir aller dans une piscine communale ou se déplacer vers la côte béjaouie faute de moyens, ils sont nombreux les jeunes à chaque saison estivale à se baigner dans l’oued Soummam. Ce qui est à l’origine de noyades, comme c’était le cas la semaine dernière de deux jeunes garçons de 11 et 14 ans qui ont été repêchés de l’Oued Soummam.
«Il est temps de penser à maintenir les jeunes sur place»
Cela pour illustrer le retard enregistré en matière de développement local dans cette partie de la Kabylie. Un point que les participants à la table ronde n’ont pas manqué de rappeler à maintes reprises. L’idée de s’organiser en réseau regroupant les cadres et la diaspora de la région afin de rechercher une issue à cette oisiveté économique a été soulevée en marge du 1er festival consacré à Abderrahmane Awaghlis organisé par la commune de Tinebdar en collaboration avec le Groupe d’études et de recherche sur l’historie des mathématiques à Béjaïa médiévale (GEHIMAB). En attendant, ce ne sont pas les propositions qui manquent. Même si les avis divergent sur les moyens de faire sortir Ath Awaghlis de sa léthargie, l’on s’accorde à dire que le plus important est de compter sur la ressource humaine. «Le trésor de cette région, ce sont ses hommes et ses femmes.
Cette région compte la plus belle diaspora au monde», dira à ce sujet le premier responsable de Schneider Electric Algérie, Brihi Akli, avant de s’interroger : «Comment regrouper tous ces talents pour développer cette terre très dure. Quelle valeur ajoutée apporter au pays ?» Autant de questions qui sont revenues lors des débats. Rappelant que certains métiers ont disparu alors que d’autres ont résisté, Karim Younes, ancien président de l’Assemblée populaire nationale (APN), parlera de son côté de la nécessité de rassembler les efforts pour assurer une intégration entre les métiers existants et les potentialités de la région.
Il proposera dans le même sillage la création d’une zone d’activité orientée vers trois ou quatre choix de production. «Il est temps de penser à maintenir les jeunes sur place», dira-t-il regrettant cette incapacité à s’organiser dans une région où le raccordement au gaz de ville se fait de manière très lente. Mais aussi où d’autres contraintes viennent bloquer l’investissement, comme le relief montagneux et le problème du foncier. D’où la nécessité de jouer sur les avantages comparatifs pour dynamiser la région qui a vu, pour rappel, le projet du lancement d’une zone d’activité à R’mila tomber à l’eau.
Faire l’inventaire des potentialités de la région
Pour cela, les initiatives devraient émaner des volontés locale, de l’avis de Farid Yaici, expert industriel et professeur en économie à l’université de Béjaïa. «Les initiatives doivent venir des gens d’ici. Commençons d’abord par faire l’inventaire des potentialités de la région», notera-t-il à l’adresse de l’assistance. Et de poursuivre  : «Il y a lieu d’aller vers le palpable en créant une association et en regroupant les gens». Au final, trouver des résolutions à porter au plus niveau de l’Etat avant de lancer des projets adaptés à la région (agriculture de montagne, valorisation des produits du terroir, exploitation de l’argile, tourisme…).
Cependant, «est-ce que cette région peut travailler avec
l’Etat ?» se sont interrogés certains animateurs de la table ronde, à l’image du représentant de Schneider. Pour bon nombre de participants, il s’agit surtout de sortir des dogmes politiques et régionalistes et d’en finir avec l’assistanat, les contraintes sociologiques, les divisions entre les wilayas et les calculs politiques. «Notre région est victime de bipolarisation politique. Le constat est alarmant. Le comment faire pose problème.
Il est temps de se débarrasser de cette fierté démesurée», relèvera dans ce cadre Remila Hanafi, opérateur économique dans le secteur de l’énergie. Ce dernier reste sceptique quant à l’avenir économique de la région. Pourquoi ? «Le système de gouvernance de notre pays est allergique à toute initiative citoyenne», répondra-t-il. Une manière de rappeler que le chemin est encore long pour lancer la Soummam dans la dynamique de développement. Un scepticisme que ne partage pas Mme Hassiba Mokraoui, directrice générale du développement industriel et technologique au ministère de l’Industrie et des Mines. «Arrêtons le négativisme», lancera-t-elle à la clôture de la table ronde.
Un message on ne peut plus clair de la part d’un représentant d’un département ministériel qui a la charge le dossier du développement d’un secteur vital pour la création d’emplois. Le tourisme est aussi l’autre gisement d’emplois dans cette région, pourvu que les sites soient valorisés. Un enseignant de la localité de Tinebdar le dira clairement. «Nous avons besoin de tourisme et d’industrie. Les structures peuvent être attractives et le tourisme peut donner beaucoup de choses à cette région», fera-t-il remarquer. Un avis que partage Bihmane Belattef, ancien Directeur des ressources humaines (DRH, vétérinaire de formation).
Des sites touristiques à revaloriser
«Nous avons des sites qu’il va falloir revaloriser. Les sites archéologiques et les sites spirituels peuvent faire l’objet de visites de la part de touristes. Il y a en somme le tourisme cultuel et culturel à développer avec un massif qui dépasse 1687 mètres d’altitude. A partir de maintenant, il va falloir que l’Etat prenne conscience et contribue à développer ces segments», nous dira-t-il en marge de la visite effectuée au dernier jour du festival à l’antenne d’Akfadou, endroit historique qui a marqué la guerre de libération nationale. «C’était le PC du colonel Amirouche, le second lieu qui s’identifie dans la région après Ifri.
On peut le transformer en musée pour drainer de nombreux touristes», plaidera notre interlocuteur. La volonté y est-elle du côté des décideurs ? Pour M. Belattef, ce n’est pas le cas. Pourquoi ? «Parce qu’ils se savent médiocres et incompétents. On nous dit toujours qu’il n’y a pas d’argent, tout simplement parce que les élus locaux dépendent des autorités. Ils ont les mains liées».
C’est pour cette raison que les opérateurs économiques locaux (même s’ils sont face à d’innombrables blocages) et les associations régionales sont appelés à apporter leur contribution dans le développement du tourisme, surtout un élément essentiel pour renouer avec les échanges interrégions entre communes et entre wilayas. «Mais il faut que les responsables locaux soient à l’écoute des spécialistes. Car ce sont eux les décideurs sur la budgétisation», poursuivra l’enfant d’Ath Awaghlis pour qui le fait que la région soit pure sur le plan environnemental est un atout pour le développement du tourisme. «Pourquoi ne pas développer des camps de toile ?», s’interrogera-t-il.
Pour ce qui est de l’agriculture de montagne, elle ne peut pas réussir dans la région, de l’avis de ce spécialiste de l’agriculture en raison de la rudesse du climat. M. Belattef indiquera par ailleurs qu’il y a de fortes potentialités à exploiter en matière d’industrie hydrique.
Et ce, d’autant que les différentes localités d’Ath Awaghlis recèlent d’importantes sources exploitables avec des débits importants. «La quantité d’eau qui se perd est inimaginable.
Ce sont des milliers de m3 en déperdition», regrettera t-il. Jusqu’à quand ? La question reste posée en attendant les propositions de la rencontre du réseau prévue à la rentrée sociale prochaine et les réponses que réserveront les pouvoirs publics à cet effet. Ce premier festival a permis d’enclencher le débat sur cette question et de faire sortir la région de l’anonymat le temps d’une escapade estivale entre conférences, animations, expositions et circuits touristiques.
Au nombre de quatre, ces circuits ont permis aux enfants de la région, à ses invités de découvrir les différents sites. Le musée d’Ath Waghlis (El Flaye), celui d’Ifri (Ouzallaguène), la mine de fer de Timezrit, le mausolée Cheikh Aheddad (Seddouk), zawiya Ahmed Zerrouk El Bernoussi, la stèle libyco-romaine d’Izoughlamène, la stèle libyque figurée de Semaoune et d’autres sites perchés sur les hauteurs de la Soummam ont émerveillé les visiteurs. 
El Watan 27/07/2015

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