Mezgoug : Lawziaâ ou la fête au village

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43 ANS APRÈS, MEZGOUG RENOUE AVEC LA SOLIDARITÉ.
Dans l’optique de généraliser la gaieté, les membres du comité ont pensé aux seniors, aux handicapés, aux anciens membres influents du village, aux lauréats de tous les examens.
Réunir tous les fils et filles d’un même village, sacrifier et partager équitablement quatre boeufs puis terminer par une grandiose soirée, cela ne peut se produire qu’en Kabylie. Une région connue pour l’esprit de solidarité et d’entraide de ses enfants. Ce sont ces moments forts, riches en couleur et empreints de toutes les valeurs qui ont toujours distingué le Kabyle, que nous avons vécus deux jours durant à Mezgoug, un village de la wilaya de Béjaïa. C’était, comme disaient nos aïeux, «Ass yifen akw usan di dunit, mara temlil tasa dway turew» c’est-à-dire «le plus beau jour dans la vie, c’est celui où les membres de la même famille (communauté) se retrouvent». En ce dimanche de juillet, le village Mezgoug de la daïra de Sidi Aïch à Béjaïa était paré de ses plus beaux atours. Ruelles et placettes nettoyées étaient les premiers indices indiquant que des événements de taille allaient avoir lieu. Chose que nous confirmerons dès notre arrivée au centre du village. Dans la cour de la mosquée, récemment réhabilitée, quatre boeufs attendaient d’être sacrifiés. Tout autour, insoucieux, les bambins jouaient. C’était pour eux la fête aussi.
L’événement valait le coup. Il ne s’est pas reproduit depuis 43 ans. Le comité de village, dirigé par Da Mansour et l’association religieuse du village, conduite par l’infatigable Hadj Salah, soutenus par les jeunes du village, venaient de réussir le pari de relancer une tradition qui a toujours marqué les villages de Kabylie. Lawziâa aura lieu, aujourd’hui, grâce aux villageois, qui se sont montrés généreux, puisque les plus démunis ont été dispensés de cotiser et les bienfaiteurs se sont, encore une fois, manifestés par des dons. On citera un industriel de Blida qui s’est déjà distingué par une aide pour la reconstruction de la mosquée du village.
Toutes les familles auront leur part de viande. A ce sujet, Hadj Salah, le président de l’association notera, tout en remerciant les bienfaiteurs, que «cela fait près d’un quart de siècle que Timechret n’a pas été organisée dans notre village. Cette fois, nous avons décidé de prendre quatre taureaux par les cornes et de les immoler. Nous avons jugé bon de le faire pour permettre aux riches comme aux pauvres de renouer avec la joie et la solidarité». Pour joindre l’utile à l’agréable, le comité a aussi prévu un gala artistique et autres activités au titre de la reconnaissance.
Dans l’optique de généraliser la gaieté, les membres du comité ont pensé aux seniors, aux handicapés, aux anciens membres influents du village, aux lauréats de tous les examens Tous et sans exception ont reçu des cadeaux. Les vieux et les vieilles, plusieurs dizaines étaient aux anges en recevant leur présent. Placée sous le signe de la cohésion et de la fraternité, cette fête était un rendez-vous d’attachement, d’union et «tagmats» dans une totale ambiance de joie, d’harmonie et de sourire. Elle constitue une bonne occasion pour resserrer les rangs entre les enfants d’un même village. «Nous souhaitons que cette fête soit une grande réussite et constituera un autre rendez-vous important dans l’histoire de ce village révolutionnaire», explique Da Mansour. Tout a commencé par une rumeur, puis un rêve et cela a fini par une grandiose fête du village! Faire circuler une information informelle, celle qui lance le village dans la préparation de quelques activités, peut être considérée comme une rumeur. Tandis que le rêve, c’est «l’oeuvre» d’un vieil homme originaire du village. On raconte qu’en 1968, alors que le village venait d’achever une opération de collecte d’argent pour l’achat d’une parcelle de terrain afin d’en faire un cimetière, un citoyen modeste se manifeste par un don qui marquera à jamais les esprits.
Il offre son terrain qui fait encore aujourd’hui office de cimetière du village. Que faire alors de l’argent collecté? La question ne tardera pas à trouver sa réponse. L’idée d’un sacrifice dans l’intérêt collectif germa pour se concrétiser quelques jours après. Un sacrifice de bovins est organisé au grand bonheur de tous les villageois. Depuis, cette tradition est délaissée, oubliée avant de renaître de ses cendres en ce mois de juillet 2011. Quatre boeufs ont été égorgés dans la cour de la mosquée du village par des jeunes expérimentés qui ont contribué à l’heureux événement à leur manière. D’ailleurs, tout le monde était au rendez-vous. Pendant que la séance du sacrifice était accomplie, nous avons entamé une visite au village. En sillonnant ses ruelles, des «daawat el khir» fusaient de partout. C’est comme si chacun devait apporter sa part de grains ne serait-ce que par des mots. Un peu partout, des personnes âgées prodiguaient leurs conseils aux plus jeunes. Notre première halte fut à Djamaâ Amellal. De là, une vue imprenable s’offrait à nous. On pouvait observer dans tous les sens, notamment en direction de Seddouk Oufella, vers le mausolée de Chikh Ahhadad. Cette mosquée est intimement liée à l’histoire de ce chef spirituel qui a pris les armes contre les colons français. De l’autre côté du village, la mosquée Imgoure, témoignait d’une histoire liée au village et à ses traditions. Avec Athmane, nous avons eu droit à des explications, dont celle liée au mariage. «Lorsqu’une femme n’a pas de prétendants, elle venait ici implorer l’aide juste après cette visite, elle se marie», soutenait-il. Comme partout dans les villages de Kabylie, il y a des endroits à la fois féeriques mais aussi chargés d’une part d’émotion qui n’est pas sans témoigner de l’attachement des villageois aux traditions qui ont toujours fait leur fierté. Chaque coin ou recoin possède en lui une histoire, un événement que tout le monde connaît par coeur. De retour à la place du village, l’heure était au partage. De manière équitable, la viande est répartie entre les villageois dans une ambiance conviviale qui se lisait sur les visages. Vint ensuite la remise des récompenses aux lauréats du village. Tous ceux qui ont réussi aux examens, ont été félicités publiquement et des cadeaux leur ont été offerts. Quand bien même ils sont symboliques, ils restent porteurs d’un encouragement, mais aussi d’une marque de fierté que le village tire du travail de ses enfants. Pour terminer en beauté, la fête pouvait commencer à la nuit tombée. Les animateurs annonçaient une soirée musicale et artistique. Une soirée remarquable par le riche défilé des chanteurs et artistes du village, connus et moins connus, à l’instar des artistes de Bahi, Ghani et Akil Athwaghlis qui ont fait sensation comme d’habitude. Il y avait aussi le jeune Massi Benadji. La star de la soirée, n’était autre que amour Abdenour qui a mis le feu à la piste de danse. Avec sa solide voix et une orchestration sans faille, Amour Abdenour s’est donné corps et âme pour honorer les villageois venus en force admirer le maître de la chanson kabyle. D’un côté, les hommes et de l’autre les femmes, l’assistance ne tardera pas à réagir à la rythmique de l’artiste en envahissant la piste dans une ambiance qui n’a de valeur que celle des moments forts de joie. Femmes, filles, jeunes et moins jeunes dansaient côte à côte comme pour dire que la modernité et la tradition peuvent faire bon ménage.
Mezgoug venait de vivre un moment fort qu’il a voulu avec ses enfants, tous ses enfants, à travers cet événement ressuscitant une tradition forte en valeurs sociales. Les citoyens de ce village, surtout les jeunes, ont démontré, une fois de plus, leur éminent attachement à ses valeurs.
Comme à leur habitude dans ces moments, ils tiennent à honorer comme il se doit la mémoire de ceux qui ont choisi le sacrifice suprême pour que vivent les générations futures dans la dignité et la liberté. Le tout dans une organisation exemplaire.
http://www.lexpressiondz.com
Par Arezki SLIMANI – Dimanche 24 Juillet 2011

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