La neige de mars rappelle à Akfadou ses privations.
Le paysage montagneux de l’Akfadou charme ses hôtes. Vaste versant qui fait face à la vallée de la Soummam et composé de 14 villages, le territoires Akfadou offre beauté de la vue et tranquillité de vie. Ses habitants s’en servent avec beaucoup de plaisir même s’ils succombent parfois à la tentation de la ville où le cadre de vie serait plus commode. Hacene, originaire de Tigzirt, n’est pas près d’oublier les quelques heures passées l’été dernier dans cette localité à l’occasion d’une fête de mariage. Il en parle avec admiration. «J’ai sillonné beaucoup de villages de la Kabylie. Mais ce que j’ai constaté ici est surprenant. L’organisation des villages m’a émerveillé», dit-il. Tout n’est pas blanc néanmoins dans cette contrée. Le mois de mars de cette année est venu rappeler aux Akfadouciens que la localité est un oubli du développement. La rudesse de l’hiver est passée par là. Avec un froid rugueux et des neiges «descendues» jusqu’aux villages à 700 mètres d’altitude, l’heure n’était pas à la joie. Ce sont plutôt d’autres questions qui persistent. Elles sont liées aux commodités de vie qui n’ont pas vraiment évolué, notamment en pareille situation. «Jusqu’à quand continuerons-nous à être privés de gaz de ville ?» ne cessent de s’interroger les populations de la commune. Dans les cafés, le sujet revient, telle une rengaine. Les populations ne comprennent pas pourquoi la région ne bénéficie pas des services du gaz de ville au moment où les autorités annoncent la croissance du taux de raccordement au niveau national. Faute de ce «luxe», les foyers se chauffent avec la bonbonne de gaz, qui n’est pas souvent disponible, particulièrement quand les routes sont coupées à cause des intempéries et de la neige. «Nous sommes condamnés à garder l’espoir de voir un jour le gaz de ville accéder à nos foyers», dit un quinquagénaire qui se souvient de l’hiver des années 1970.
L’espoir d’en bénéficier est nourri par les annonces épisodiques faites par les élus locaux. «Le plan de réalisation de l’ouvrage existe dans les bureaux des autorités. Sa mise en œuvre reste cependant bloquée», témoigne Samir, propriétaire d’un poulailler. Samir se plaint du coût du chauffage au moyen des bouteilles de gaz. «Je dépense de l’énergie et de l’argent pour chauffer le hangar situé dans la montagne. S’il y avait le gaz de ville, j’aurais moins de dépenses. Mais, pour l’heure, je n’ai aucun choix. Je fais avec.» Samir ne cache pas son souhait de voir cette énergie arriver un jour dans la région. «Il paraît que les villages situés plus haut vont en bénéficier prochainement. C’est ce qui se dit au niveau des autorités locales», confie-t-il sans conviction. A Imaghdacène, le village le plus haut de la commune, l’hiver est fortement appréhendé par les habitants, qui ne peuvent pas mettre le pied dehors. L’approvisionnement en gaz butane n’est pas une sinécure mêmes, ils ne sont pas nombreux les foyers qui recourent à ce moyen. Les villageois d’Imaghdacène, aidés par la proximité de leurs habitations avec la montagne, sont toujours fidèles au feu de bois. «L’hiver ne nous fait pas peur tellement nous avons pris l’habitude de nous ravitailler en quantité», affirme Mohand Tahar, un jeune agriculteur.
Glissement
Un peu plus bas, au village Aït Amara, les neiges surprenantes et la persistance des pluies ont fini par inquiéter davantage les résidants. La raison : un glissement de terrain menace les maisons situées près de l’oued. Les propriétaires d’habitations menacées par ce glissement regrettent de ne pas avoir interdit le lancement des travaux de soutènement au niveau du ravin avant le printemps. Entamés fin février, les travaux ont été suspendus à cause des pluies ininterrompues enregistrées dans la région. Depuis, les nuits sont devenues cauchemardesques pour les habitants des maisons les plus exposées à l’affaissement du terrain. Da Allaoua n’arrêta pas de scruter le ciel et de rester à l’écoute des nouvelles météorologiques. La bonne nouvelle ne vient pas. Le mauvais temps est parti pour durer. C’est ainsi que son angoisse s’est prolongée au cours des jours suivants. A côté du manque de commodités à des périodes difficiles comme l’hiver, les jeunes de la commune souffrent d’une oisiveté galopante. Les quelques jeunes qui exercent dans les chantiers de construction se sont vus obligés de se ranger dans les cafés.
Les conditions climatiques ont tout suspendu. L’inactivité est totale. Il ne restait aux jeunes de la commune que certains sujets de discussion autour de cafés. Le football est constamment le sujet le plus abordé par les jeunes, notamment chez Akli, le gérant du local, qui défendbec et ongles la cause des Galactiques. Dès que vous accédez au café, vous entendrez systématiquement des commentaires sur les dernières nouvelles du football européen, particulièrement la Liga espagnole. Les nouvelles des Verts et leur composante professionnelle sont parfois reléguées au second chapitre quand la rivalité entre Catalans et Madrilènes est importée à forte dose. L’élimination du Real Madrid en Champions league par l’Olympique de Lyon a été commentée à satiété dans les lieux publics du paisible Akfadou. Abdelkader, propriétaire d’un kiosque à Ferhoune, le chef-lieu de la commune, n’a pas tort en déclarant à ses copains que le résultat n’a pas été autant évoqué et commenté sur les plateaux de la chaîne El Djazeera Sports. Seule la presse sportive de la capitale ibérique en a autant écrit, tellement l’échec du Real dans la C1 a surpris supporters et observateurs. «L’élimination du Real restera énigmatique, car elle a été essuyée face à une équipe moyenne», convergent à dire les fans du club. Loin du terrain de football qui regroupe des jeunes très passionnés par le ballon rond, c’est la course aux aides à l’autoconstruction. Crise oblige, les aides de l’APC semblent intéresser beaucoup de gens. «C’est le moment de faire avancer la construction. Il faut que j’achève les travaux avant l’été», insiste Mustapha, qui prie Dieu pour le retour du soleil. Après quelques formalités réglées au niveau du service technique de la municipalité, tous les dossiers transitent par les mains de Nabil l’architecte, «prêt à être sollicité», tenu -généralement sans contrepartie financière- de trouver des solutions aux problèmes des candidats aux aides à l’autoconstruction de la commune.
Le martyre des écoliers
Les manques dans cette contrée ne se résument pas à l’absence de gaz de ville et à l’oisiveté galopante. Les écoliers souffrent le martyre en hiver. Arriver aux portes de son établissement à 8 heures du matin est loin d’être un simple exercice pour un collégien d’Imaghdacène qui doit parcourir, cartable bien chargé, environ 6 kilomètres. «Les autorités locales ont mis deux bus à la disposition des élèves habitant les villages lointains. Mais le problème n’est pas résolu. Il y a ceux qui n’en bénéficient pas. Et puis les conditions dans lesquelles sont transportés ces potaches sont indescriptibles. Ils effectuent ce trajet dans une exiguïté incroyable», témoigne un adjoint de l’éducation du CEM. A quelques mètres du CEM, où les résultats pédagogiques sont toujours satisfaisants, le lycée de la commune, inauguré depuis 10 ans, vit une année scolaire catastrophique. En plus des préoccupations qui se posent dans le secteur au niveau national, le lycée d’Akfadou se distingue par une gestion qui est en train de faire beaucoup de mal aux élèves, notamment ceux des classes terminales. «Comment peut-on attendre de bons résultats à l’examen du baccalauréat quand les élèves évoluent dans des conditions pareilles. Une année parsemée de grèves, au cours de laquelle les élèves n’ont eu les professeurs de certainesmatières qu’au milieu de l’année scolaire», témoigne un enseignant. Au sein des élèves, on n’y croit pas vraiment. «Nos professeurs tentent, tant bien que mal, d’accomplir leurs missions. Ils manquent néanmoins d’expérience pour maîtriser le programme», dit Fawzi, pour qui l’examen du baccalauréat est la seule préoccupation. Pour rattraper le retard induit par les grèves répétitives de l’année scolaire, certains élèves des classes terminales recourent à des cours de soutien dans les matières importantes, parfois à des prix très élevés. «Il n’y a pas d’autre choix que celui d’aller chez les enseignants chevronnés qui ont l’habitude de préparer les élèves à l’examen de fin d’année», souligne Khellaf, un parent d’élève. Le palliatif n’est pas facile à accomplir. Un autre obstacle s’y greffe. Il s’agit du problème de transport vers la ville de Sidi Aïch où se trouvent les écoles d’appui. «Le transport dans notre commune est un calvaire. Quand tu dois effectuer un déplacement le vendredi, tu n’as pas la partie facile. Peu de transporteurs assurent le service. C’est encore plus compliqué quand tu es retenu jusqu’à une heure tardive. Tu risques de ne pas rentrer chez toi», fait remarquer Rachid, un fonctionnaire dans une entreprise privée à El Kseur. Sofiane parle d’une situation similaire. Agent de sécurité dans la zone industrielle de Taharacht, à Akbou, Sofiane souffre chaque vendredi pour pouvoir arriver à temps sur son lieu de travail. En hiver, le transport est une hantise. Il est tenu d’entamer son périple à l’aube. Mais où est le moyen de transport pour effectuer la première phase qui le mènera à Sidi Aïch ? «Tu peux trouver le transporteur. Il ne pourra pas cependant démarrer sans que les sièges soient complètement occupés», dit-il avec beaucoup d’amertume. «Le problème est nettement moins compliqué pendant l’été», se consolera-t-il. La vague de froid qui s’est invitée au mois de mars, accompagnée d’une petite couche de neige, a ainsi fait rappeler aux habitants d’Akfadou que beaucoup reste à faire en matière de développement. Que les privations sont multiples. La bataille du développement sera sans doute dure à gagner. Plus dure que celle de l’hiver. Place au printemps…
De notre envoyé spécial à Béjaïa 31-03-2010
Amirouche Yazid
http://www.latribune-online.com