’ Il faut gratter là où ça démange ’’
Issu d’une famille d’artistes, originaire de la vallée de la Soummam, Ghilas Aïnouche, 24 ans, croque l’actualité nationale et internationale, avec tact et non sans dérision.
Il nous livre ici tant sa venue à la caricature, son inspiration, sa vision du quotidien que ses émotions créatives…Sans langue de bois, ni bigoterie, aucune.
Entretien
- Ghilas Aïnouche, tu as choisi la caricature comme moyen d’expression. Le dessin est plus expressif que l’écrit ?
Evidemment ! Comme on dit : « Un dessin vaut mieux qu’un long discours ». Pour exprimer le fond de mes pensées, j’ai opté pour la caricature car c’est elle qui convient le plus à ma personnalité. A quoi bon chasser le naturel ? …
J’aime rigoler, tout comme j’aime voir les autres en faire autant. Avec mes potes, je n’arrête pas de m’éclater. Le rire est mon sport-roi. L’humour est l’outil captivant d’une caricature. De ce fait, les messages passent facilement à travers ce moyen d’expression.
On ne naît pas caricaturiste, on le devient. Au départ, c’est certain, il faut avoir le don mais le don à lui seul ne suffit pas. Il faut travailler sans relâche à son développement. De mon côté, je suis toujours en quête de perfection par la lecture et le travail de recherche entres autres. Je dois être à la page, donc je suis tenu de suivre l’actualité.
Le théâtre m’a beaucoup aidé du moment que je m’y suis initié dès l’âge de sept ans. J’ai fait des spectacles, participé à des festivals et deux albums sont à inscrire à mon actif.
Un dessin de presse est à double langages. Le premier est un langage universel, le dessin proprement dit. Le second est le langage de l’écrit non compris par tout le monde. La palme revient, bien sûr, au dessin plutôt qu’à l’écrit. Un dessin sans parole est en mesure de toucher le maximum de gens. « Le temps, c’est de l’argent », dit le dicton. La caricature est là pour nous faire gagner beaucoup de temps, pour ne pas dire beaucoup d’argent… (Rires)
- Il faut, pour cela, une grande inspiration. Tu te dis : ‘‘ Tiens, aujourd’hui, je vais traiter telle problématique … ! ’’ Comment choisis-tu, tes sujets, concrètement ? T’arrive-t-il d’hésiter entre un sujet et un autre ? Celles et ceux qui sont dans l’écrit connaissent l’angoisse dite ‘‘ la page blanche ’’. T’arrive-t-il de ne pas avoir de sujet, du tout ?
Avec tous les problèmes que vit le monde actuel, je ne risque pas de tomber en panne d’inspiration. Nous vivons dans un monde à l’envers où tout va de travers.
L’inspiration ne vient pas en cliquant des doigts. Parfois, l’actualité me pousse à lui faire appel en la provoquant par des astuces connues des professionnels. Ma façon de travailler ne doit sûrement pas être différente de celle des autres. J’ai un carnet de notes où j’inscris tout ce qui me passe par la tête à tout moment et en tout lieu. A l’attente du bus, pendant les chaînes interminables au resto universitaire, face à la télé, en marchant dans la rue et … et …une idée vient comme un flash, il faut la mettre sur papier au plus vite car elle s’en va comme elle vient, sans avertir. Il m’est arrivé plusieurs fois de me réveiller en pleine nuit avec une idée en tête. Aussitôt après, j’allume les lumières, je prends mes « armes » et je traduis le tout noir sur blanc. Sans ça, je risque de tout oublier le lendemain. La prise de notes est vraiment très importante.
La lecture a aussi son importance. Il y a un besoin d’enrichir son esprit quotidiennement par la lecture de journaux, livres, … L’actualité est à suivre de près à travers la radio, la télé, … Les conférences-débats peuvent aussi être d’un grand apport. Il ne faut jamais se contenter d’une seule source, c’est un conseil que je peux donner à tous les amateurs de dessin de presse. Les voyages et l’ouverture aux autres permettent de découvrir le monde et à mieux développer son sens de l’analyse.
Moi, je ne suis lié à aucune structure politique ou autre. Je suis un libre-penseur. Je donne mon point de vue sur tout ce qui intéresse l’être humain, de près ou de loin. Je ne reçois aucun ordre de quiconque. Je dis ce que je pense et j’ai horreur des manipulateurs de touts bords. La manipulation est dangereuse, elle joue souvent de mauvais tours. Les lecteurs savent bien reconnaître les leurs. En un mot, il faut gratter là où ça démange. Un caricaturiste est jugé à la qualité de son trait et au niveau de ses écrits. Ainsi, je m’efforce de répondre au mieux à ces deux critères.
- Le lecteur affectionne tout particulièrement la caricature. Comment expliques-tu ce lien, disons un peu complice, dans la dérision ?
Les enseignants qui ont marqué ma vie sont ceux qui faisaient montre d’ouverture d’esprit, de sens de l’humour, de tolérance et d’indulgence. Le rire est unbesoin vital pour l’homme. La vie devient de plus en plus difficile. Trop d’ennuis, stress au quotidien et pressions de toutes parts font que la plupart des gens ne cherchent qu’à s’évader de cet environnement maladif. Ils ont besoin de décompression. Ils sont à l’affût du moindre fait capable de leur remonter le moral. Que dois-je faire en tant que caricaturiste ? Les enfoncer davantage dans leur univers étouffant ? Bien sûr que non ! J’ai le rôle de décrisper leur atmosphère, de les dérider en soutirant un petit sourire de leurs mauvaises mines sans oublier au passage le message porteur. L’homme a besoin de certains moments de détente. On ne peut pas se contenter de boulot uniquement. De temps à autre, il faut se permettre des sorties en récréation. Et quoi de plus indiqué qu’une caricature bien ficelée et emballée ! La caricature nous fait voir autrement la réalité, sous de nouvelles dimensions. Elle est là pour éveiller les consciences et faire changer, un tant soit peu, quelques facettes du monde pourri dans lequel nous survivons.
- Tes dessins montrent clairement que tu es très sensible à tout ce qui va de travers dans la société. Les lecteurs [et…] de tous âges semblent adhérer à tes coups de fuseau. Peut-on parler d’une symbiose intergénérationnelle sur le mal vivre ?
Les politiques nous parlent de haut et se disent proches du bas peuple. Ils sont toujours là avec leurs rhétoriques et longs discours ennuyants, faits beaucoup plus pour émerveiller qu’à éclairer. Ce qui les intéresse, c’est d’être applaudis. Moi, par contre, je ne suis pas seulement proche du peuple mais je fais partie de ce peuple. Je ne vis pas dans la société en spectateur. Je vis tous les problèmes que rencontrent les enfants du peuple : la cherté de la vie, les chaînes interminables à l’université, la mauvaise alimentation, … Attendre toute une journée pour avoir droit à un extrait de naissance, plusieurs semaines pour un certificat de nationalité et un passeport, toute une journée pour leur récupération, les longues attentes aux urgences dans les hôpitaux, … C’est moi à qui certains journaux ont refusé le recrutement à cause de mon jeune âge et l’absence de « piston ». Je souffre comme tout le monde. L’abus de pouvoir, la Hogra, la bureaucratie, l’ennui, le dégoût, … Je les subis quotidiennement. Je ne fais que transposer tout ça dans mes dessins, pas la peine de chercher loin, je n’ai qu’à traduire ce que je vis. Pour revenir à ta question, je suis indissociable du peuple. Pour cette raison, on ne peut qu’être sur les mêmes longueurs d’ondes. Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes. Nous partageons les mêmes préoccupations et ressentons pareils besoins.
- On a vu que sur les réseaux sociaux comme Facebook par exemple, ton travail est partagé par des milliers de contacts dans les deux-trois jours même qui suivent ton post. Comment expliques-tu ce succès ?
On peut expliquer un échec, mais pas le succès ! Ceci explique cela. Il faut savoir viser juste. Parfois, j’ai du mal à trouver de bonnes explications à ça. Des fois, je peine à la confection d’un beau dessin doublé d’une merveilleuse idée tirée de mes entrailles mais sans impact majeur sur mes lecteurs, surtout quand il s’agit d’une caricature politique. Je vois que les gens ont ras-le-bol de la politique ces dernières années ! Par contre, il m’arrive de balancer un travail fait à la va vite et le résultat dépasse toutes les attentes. L’effet que ça fera n’est jamais connu d’avance. Il y a toujours des surprises. Pour ma part, je dirai que plus c’est simple, plus c’est beau. Je vais droit au but, terre à terre, par l’utilisation d’un langage à la portée du commun des citoyens. Ecriture claire réduite au strict minimum, joli dessin, belles couleurs et le tour est joué. Il y a un peu de marketing dans ce métier. L’objectif premier est d’attirer l’attention du lecteur avant de le bousculer dans ses idées. Il n’y a pas que des intellectuels dans la société et de ce constat, il est nécessaire de se faire comprendre à tous les niveaux. … Ceci dit et parallèlement aux réseaux sociaux, j’ai aussi collaboré avec des quotidiens algériens comme Le jeune indépendant, (Echourouk), des hebdomadaires (Avis), des revues (Le Phare) et la télévision, BRTV. Je suis également passé sur TV5 Monde, dans l’émission Maghreb-Orient Express. J’ai été sollicité par le quotidien français « L’humanité » et le quotidien belge « Le soir ». Je présente aussi mon travail sur scène lors de conférences-débats avec le « Café littéraire » de Béjaïa.
En 2012, j’ai été élu ‘‘ prodige algérien ’’ dans le domaine de la caricature par l’opérateur mobile « Djezzy »…
– A la question : ‘‘ Quelle est la place de la création dans notre pays ? ’’ posée, il y a une vingtaine d’années dans un hebdomadaire régional d’informations ; ton père Karim alias Winna (Poète-auteur, ndlr), nous a répondu : ‘‘ L’avenir de la culture est indissociable de l’avenir du pays.’’
Que répondrait aujourd’hui Ghilas, le fils, à cette même question ?
L’Algérie regorge de créateurs mais la création est peu en vue. C’est le chacun pour soi. Chacun s’enferme dans sa bulle et les occasions d’affirmer les talents manquent énormément. En l’absence d’encouragements et de prise en charge par les pouvoirs publics, l’artiste est condamné à tournoyer avant de ranger ses outils au placard par dépit et découragement. Chez nous, l’artiste n’a aucun statut. Au lieu de coups de pouce, il reçoit des bâtons dans les roues. Le matérialisme a faussé la donne. Ce n’est plus le talent qui prime mais les signes extérieurs de richesse. Pour gagner sa place, il faut avoir les bras longs.
L’Algérie n’est pas seulement riche en ressources naturelles. Il y a des compétences de très haut niveau mais ce sont les pays d’outre-mer qui en tirent profit. Les grandes puissances de ce monde exploitent tout autant nos richesses que nos différentes élites. Personnellement, Je ne reçois des messages d’encouragements et des invitations que de l’étranger, là où l’artiste est jugé à sa propre valeur.
- Plusieurs de tes planches mettent le doigt sur la galère des étudiants. Tu es toi-même étudiant dans le génie civil. Un domaine plutôt cartésien. T’arrive-t-il de rire de la théorie des cours face à leur pratique sur le terrain, dans un pays où un domaine comme le génie civil, tient plus du politique que du génie ?
Nous savons tous que le Blabla de l’université ne va pas se retrouver à l’extérieur. L’université algérienne permet d’occuper certains jusqu’à un âge assez avancé de leur jeunesse avant de les éjecter dans la « vie active ». Le chômage atteint des proportions alarmantes. La théorie ne sert le plus souvent qu’à réussir ses modules. Faut-il fermer les Universités ? Disons non, pour ne pas augmenter le taux de chômage chez les enseignants et les personnels de l’université (Rires). Elles font vivre quantité de familles algériennes, grand bien leur fasse !
Sérieusement, je pense que la situation ne prête pas à rire. Jugez-en : faire la queue au resto, pendant une heure ou deux, pour avoir un semblant de bouffe, le temps d’attente du transport universitaire et la vie dans les cités (manque d’eau, saleté, …). On perd beaucoup de temps … Pour rien !
L’université forme des élites qui auront à souffrir plus tard de problèmes d’estomac, de colons, … et j’en passe ! Qu’à cela ne tienne !
Je ne dis pas ça pour décourager les lycéens pour ne pas y accéder. Je sais ce que je raconte, j’ai vécu tout ça, il faut le dire, pourquoi cacher la réalité ? Mais, nos lycéens doivent s’y mettre afin de gagner leurs places sur les bancs de l’université dans l’espoir que les responsables concernés daignent améliorer la vie de leurs étudiants.
- Comment t’organises-tu pour concilier études et grande passion ?
Ce n’est pas sorcier, il suffit de s’organiser. Le jour compte 24 heures, le reste c’est de temps libre… (Rire). Je dors 6 à 7h, le reste je le consacre aux études, au dessin et aux différents loisirs. Le dessin est pour moi une passion, pas un gagne-pain. Je lui réserve une bonne partie de mon temps et je l’exerce sans aucune pression. Quand je dessine, je m’évade et je ne me rends pas compte du temps qui passe.
Pour ce qui est des études, pour moi, c’est comme une culture générale, j’y vais juste pour pourquoi pas apprendre quelque chose de plus et avoir la fameuse feuille qu’on appelle diplôme… (Rires)
- -Tu as cité plus haut Djezzy qui t’a élu comme prodige de l’année dans le domaine de la caricature. C’est quoi Exactement ? Un prix ? Une consécration ? Comment ça se passe ?
C’est mon ami Billal Haddadou qui m’a inscrit sur leur site, ce que j’ignorais jusqu’au jour où j’ai reçu un message de félicitations.
Sur plusieurs centaines de personnes inscrites, ils m’ont élu Prodige dans le domaine de la caricature car ils choisissent un prodige dans chaque domaine. Il y avait une cinquantaine de prodiges en tout. Nos récompenses étaient de voir nos photos publicitaires défiler dans les rues de toutes les villes de l’Algérie, dans les journaux et un reportage filmé de grande qualité à l’honneur de chaque élu. Nous étions également invités à certaines grandes soirées organisées par Djezzy.
- En principe chaque journal a son caricaturiste attitré. Du nouveau dans ce sens ?
Un joueur de football choisit son club en fonction de son niveau. Moi, c’est pareil, A mes débuts, j’ai bossé dans de petits journaux qui me censuraient et ne me payaient même pas. Maintenant, je pense avoir dépassé ce niveau. Les grands journaux, comme Liberté et El Watan, ont leurs caricaturistes-vedettes. Je dois m’armer de patience avant de dénicher une place dans un quotidien sérieux qui répondrait à mes exigences. Pour le moment, je me contente du net grâce auquel mon travail a dépassé les frontières. Je reçois beaucoup de messages d’encouragements venant de plusieurs pays à travers le monde. Beaucoup me reconnaissent des compétences dans le domaine. Ce qui me reste à faire, continuer à me battre et travailler dur comme à mes habitudes. La réussite finira par taper à ma porte, je suis conscient de mes capacités. Je garde espoir. La réussite sourit à celui qui sait l’attendre (Sourire)
- Un recueil qui engloberait tout ton travail, jusque-là, n’est pas une mauvaise idée. Bientôt du Ghilas Aïnouche en librairie. Ca y est, on peut le dire ?
Ce projet me tient à cœur depuis plusieurs années. Il faut d’abord que je trouve un bon éditeur. J’ai déjà rencontré certains d’entre eux. On verra bien …
- Ta citation préférée ?
Il faut se préparer psychologiquement à toutes les situations, car quand l’espoir est grand, la déception est immense. Je n’ai pas une citation préférée, mais plusieurs. Je les utilise souvent pour fuir la déception et repartir à zéro:
« On ne peut pas plaire à tout le monde »
« Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ».
« Quand on veut, on peut »…
Une dernière :
« Le secret pour rester célibataire, c’est de chercher une femme parfaite ». Oh ! J’aime bien, celle-là aussi (Rires)
- Peut-être un dernier mot …
Actuellement, je ne perçois aucun salaire en contrepartie de mon travail. Je n’ai pas d’argent, mais j’ai la conviction que je pourrais aller très loin. Je reçois chaque jour des messages de soutien et d’encouragements de mes fans via le net. Cela me suffit largement pour continuer à aller de l’avant avec la force sans cesse renouvelée d’aiguiser ma plume et élever mon niveau de perfectionnement. Grand merci à tous mes amis de la toile.
Entretien réalisé par Tahar Taïbi
Leflaye.Net 15/02/2013
Un grand bravo à vous, bonne continuation, salam.
bonne courageghiles
bon corage ghilas
…. le doyen du village vient de s’eteindre, si AHMED ALLILOUCHE (ATH SI ALI) a l’age de 99 ou 100 ans. athirhem rebbi dh sver imawlaniss.