Fatah Amrouche – Les notes qui s’aiment d’un jeune ténor – Entretien

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fateh-amrouchePar Tahar Taïbi
Mozart s’en flatta. Il écrivit, à juste titre : ‘‘Je mets ensemble les notes qui s’aiment.’’ !
Le piano a ceci de proche avec le luth : voici deux instruments millénaires qui déifient qu’on les chatouille  à la fois avec délicatesse et ardeur  sans quoi ; ils refuseront à laisser s’échapper  une mélodie berçante, un air dansant. Deux instruments graciles qui ont horreur  de la triche. Avec ces deux –là, un mixeur  polyphonique est de facto relégué au second plan. C’est comme ça. C’est la rançon du style classique.  Toute fausse note fera s’écrouler le reste. Alors, tout le reste sonnera faux.
Le luth, c’est tant de tons à accorder.  Le 3oud n’accepte qu’il soit posé sur les genoux de l’artiste, que chaleureusement enlacé, la joue délicatement posée sur le rebord de la caisse.
Avec tendresse et énormément de passion.
Cherif  Kheddam  l’a appris à Fatah Amrouche, son dernier disciple avant de s’en aller.  De là-haut, il veillera à ce que celui qu’il aimait appeler ‘‘ son cinquième fils ’’, ne déroge pas au chemin tracé par le Maître.
Esprit vivace, le regard tourné vers l’avenir. Fatah  poursuivra ce chemin mais avec sa personnalité propre. Bien à lui. En un mot, du Fatah Amrouche. Tout court !
Ô Combien, il a raison ! Le jeune homme n’a pas l’intention de ‘‘ jouer ’’ les imitateurs  sur un chemin semé d’embûches, pour raisons d’époque ou de show-biz. Ca se discute !
Il chantera encore et encore. Dda Cherif l’a formé pour chanter du Fatah  Amrouche.         Le bourgeon des Aït-Oueghlis et par extension de ‘‘ Bgayet telha ’’, prendra.
Grand bien nous fasse !
Si le parcours du genre est difficile, ce n’est certainement pas dû à l’âge car d’âge, Fatah Amrouche est à fleur de l’âge. 29 ans.  C’est très jeune ! Jeune et passionné. Passionné du style musical classique. Et dans classique, il y a ‘‘classe ’’ !   De la classe, il en a.
Et si le classique appartenait définitivement  au passé,  nul n’entendrait plus les aubades de Mozart  dans  les médias  sonores  hight-tech  du XI ème siècle. La preuve est ainsi faite. Ecouter. Entendre. On t’écoute. On t’entend. La nuance est de taille. Cela s’entend.
Que ressent-on  en compagnie de Fatah. ? De la modestie, de la gentillesse, de l’humanité, de la pudeur,  rien qu’en l’écoutant parler. On ne peut pas être mauvais quand on est capable de si grandes qualités.
Ca se sent .Ca se devine. Oui le regard tourné vers l’avenir parce que l’artiste puise d’une passion qu’il a enfouie au plus profond de ses entrailles. Son amour pour la musique classique. Un grand amoureux du luth et de belles notes.
Curiosité oblige !
Nous lui avons posé des questions qu’on pourrait se poser à son sujet. Pardi ! ‘‘ A chaque pourquoi, il y a un parce que ’’ dit le dicton ….

Propos

Fatah Amrouche, à quand remonte toute cette belle aventure ?
A ma plus tendre enfance. Chez mes oncles maternels, il y avait toujours un instrument à portée de main. De cette ambiance artistique, quelque chose vint à se produire dans ma petite d’enfant. Comme un adjuvant, je m’étais mis à m’en amuser. Je jouais n’importe quoi, n’importe comment. J’aimais ça. Mais je n’ai commencé à avoir vraiment accès à différents instruments que grâce aux à la section Scouts d’El-Flaye que je salue au passage. De temps à autre, d’illustres chanteurs de la région nous y rendaient visite. Ca m’a motivé davantage…. Au collège aussi, mon professeur de musique s’était beaucoup intéressé à mon petit travail et avait fait en sorte que je soies de la partie à chaque occasion de fête scolaire. Enfin, comme tous les jeunes chanteurs de mon âge, je prenais part aux différents galas et soirées du village… Puis, petit à petit en murissant, j’ai commencé à sentir une plus grande attirance pour la musique classique Algérienne en général. Le genre ‘‘Cherif Kheddam ’’ et ma passion pour le luth sont venus consolider cette émulation. C’est en effet, toute une aventure (rires).
Peut-être même, bien plus qu’une aventure. Le style classique n’est pas le plus prisé de nos jours. Aucune appréhension du décalage avec le public de ta génération ?
C’est difficile. C’est vrai. Mais la facilité n’est pas une source d’inspiration pour moi. Par ailleurs, je ne crois pas que ce soit une question d’âge ou de génération mais de sensibilité. On peut avoir vingt ans et aimer Mozart. Tout comme on peut être fan de Timberlake à soixante ans. Chaque style trouve bonne oreille. Je ne compare pas les deux. Chacun aime ce qu’il aime. Je ne dépends pas de la chanson pour vivre. Cette indépendance fait que je chante ce que j’aime. Je fais ce que j’ai à faire. Ce que j’ai envie de faire. Je reste fidèle à ma passion.
Ceci dit, j’ai compris le fond de ta question. Aux maisons d’éditions qui vivent de ça, d’y répondre !
Deux mondes parallèles. Deux générations totalement éloignées. La question que beaucoup se posent, excuse-moi de te la poser telle quelle :
Comment un jeune anonyme, toi en l’occurrence, est-il devenu un ami du grand Cherif Kheddam. Même qu’il se murmure qu’il y a un lien de parenté qui t’a permis de le rencontrer. Non ?
(Bel éclat de rire). Honnêtement, je savais qu’une question sur Cherif Kheddam est inévitable. Je m’y attendais et c’est normal. Mais le coup du lien familial. Alors là, pas du tout. C’est amusant d’apprendre des choses sur moi que je ne savais pas…
Dommage ! C’aurait été une chance magnifique et un grand honneur d’avoir un lien familial avec Dda Cherif, paix à son âme. Seulement voilà, c’est complètement faux !
Soyons sérieux, une minute !
Grand fan de Cherif Kheddam, naturellement mon rêve de toujours était de le rencontrer. J’y tenais absolument. Je savais qu’il vivait à Paris et je venais de m’y installer. Mais j’ai tout de suite compris qu’on ne pouvait rencontrer, pour la première fois, le grand Maître que par voie artistique. La première devait être fructueuse pour qu’il y ait une suite …
Il se trouvait alors qu’un jour, un autre artiste (de renom) a aimé mon travail. Il m’a mis en contact avec lui.
Dda Cherif m’avait écouté jouer. Par chance pour moi, il a apprécié. L’aventure artistique a commencé. Une amitié est née. Il m’a formé, et conseillé. J’en ai tiré d’énormes enseignements. Voilà comment j’ai connu Dda Cherif. Que Dieu ait son âme. Tout ceci ne s’était pas fait en quelques mois, bien entendu …
Mais c’est avec gratitude, reconnaissance et grand honneur que je revendique un lien familial, un seul : Cherif Kheddam était un père spirituel, pour moi. Je suis très peiné par sa disparition. Mais son œuvre est plus que jamais vivante… et vivace.
Tu les aimes, sans doute, toutes. Mais de toutes, laquelle des chansons de Cherif Kheddam, aurais-tu aimé avoir composée ?
(Sourire) On est des millions à être fans de Cherif Kheddam. Dieu merci. Tous ceux qui aiment l’écouter, les aiment toutes.
Voyons comment répondre à ta question. Je dirai ‘‘A lemri ’’. Voilà ! C’est une chanson qui me parle beaucoup. Impressionnante. Complexe à jouer. En Ré mineur comme Dda Cherif aimait tant composer sur ce mode, passant du rythme GOUBAHI au rythme VALSE. D’autant plus que la chanson est très touchante. Très chantante. Très mélodieuse. Très beau texte …
Le dernier festival de la chanson Amazigh de Bgayet (Béjaïa) organisé par le comité des fêtes de la ville, juillet dernier au Stade scolaire, était un hommage à Cherif Kheddam. On ne t’a pas vu sur scène !
Je n’étais pas au courant. Je n’étais pas invité. Ca m’aurait fait plaisir d’y participer. J’aurais avec honneur et grande émotion interpréter quelques titres de notre icône …
A cause de l’éloignement …
Un mail, un coup de fil … Je suis accessible. J’aurais sauté dans le premier avion. On n’est pas si loin que ça. Non, mais ce n’est pas grave (sourire).
Fatah Amrouche, du nouveau dans les bacs, prochainement ?
Oui, j’espère bien. J’ai un album de six ou sept titres dont un dédié à mon Maître. Fin prêt, en attente d’enregistrement. Où, quand exactement … je n’en sais trop rien. C’est un peu compliqué avec les maisons d’éditions. Ils ont une autre priorité, en particulier à l’approche de l’été (Rires).
La distribution ne fait pas mieux. Mon premier album ‘‘ Nebḍa’’ est quasiment introuvable chez les disquaires y compris dans ma propre région. On verra bien …
Trois petites choses un peu personnelles, si tu permets.
-Ta couleur préférée ?
Le noir. C’est sobre. C’est humble. Je trouve ça beau.
– Ce que tu détestes ?
La mauvaise foi
– Une citation ?
‘‘ Créer, c’est résister. Résister, c’est créer ’’ (Stéphane Hessel, ndlr)
Un petit mot sur chanson kabyle, d’aujourd’hui, pour conclure ?
Comme dirait l’autre : ‘‘ Tous les goûts sont dans la nature ! ’’. Les artistes, c’est chacun son style. Le public, c’est chacun aime ce qu’il lui plaît. Je chante ce que j’aime. Je travaille avec mon cœur. J’espère que ça plaira. Tanemmirt
Par Tahar Taïbi
16/03/2013 Pour leflaye.net

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