Il est terrible, le petit bruit sur la porte fermée.

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La Tornade Blonde Photo de R.BELLILI
La Tornade Blonde Photo de R.BELLILI

Un petit bar sur le quai de Saône, presque en dessous du pont de chemin de fer, à deux pas de Perrache, un quartier à l’air un peu isolé qui offre de la tranquillité aux pêcheurs, aux mariniers de passage. La prison deux rues plus loin a été vidées ces dernières années de tous ses pensionnaires.
Nous sommes en juillet, comme un rituel, notre route des vacances à l’aller comme au retour, nous la faisons passer par Lyon, pour une visite familiale. Afin de ne pas perturber nos hôtes, et aussi parce-que je ne supporte plus de dormir sur des matelas nous réservons toujours deux chambres familiales dans un bon hôtel des environs.
J’ai une préférence pour le Grand Hôtel Château Perrache, anciennement Hôtel Pullman, avec son style art déco, art nouveau, palace d’un autre temps. Dans ses salons, on pourrait s’attendre à tout moment à croiser des hommes avec des moustaches en guidon de bicyclette, comme Hercule Poirot, des femmes costumées comme au début du siècle dernier. Ce n’est pas tout à fait notre monde, ou nos habitudes à vrai dire, mais nous y prenons goût. En plus cela ne coûte rien. Enfin presque rien, un plaisir de cette sorte a t’il un prix d’ailleurs ?
Nous nous faisons un devoir de ces visite familiales, pour effacer la distance, pour se voir vraiment, pour se parler, pour s’encourager, pour nous dire, malgré le temps, la maladie et tous les petits riens, oui, tous les petits riens du quotidien que nous nous aimons dans nos différences et nos réalités.
Une des choses que j’apprécie le plus au monde, c’est la vraie rencontre, pour parler, rire ou pleurer ensemble, toujours avec de l’amitié.
L’amitié, comme la paix, trésors inestimables à portée de la main, à portée du cœur.
Je ne dis pas cela par hasard. Je pense à mon cousin El Aziz, qui nous a quitté cet été en toute réserve et discrétion. J’aime beaucoup El Aziz. J’aime beaucoup notre relation, en contradictions affichées, dans une réelle et amusante complicité qui sera présente et plaisante en moi très longtemps, sans atténuer l’absence.
998238_560711520661396_1339723499_nNous avons plusieurs identités, plusieurs personnalités, plusieurs pays. Nous vivons dans des mondes différents du matin au soir. Nous voyageons sans passeport, de l’aube au couchant, et même pendant que nous rêvons. Pourtant l’image réfléchie semble montrer la même personne de jour comme de nuit. Le trouble vient parfois de ces multiples décalages horaires continuels et permanents.
Lors de notre dernier voyage à Lyon, après une journée de route en voiture sous le soleil et dans la difficile circulation estivale, durant le ramadan, bien qu’ayant annoncé notre passage, la porte ne nous a pas été ouverte.
Nous avons fait la rupture du jeun dans un restaurant prés de la Place Carnot avant de passer la nuit au Château et reprendre la route.
J’aime bien comprendre les choses et le meilleur moyen entre adultes c’est de se parler. Nous pouvons avoir des perceptions et appréciations différentes, exprimer nos sentiments différemment, mais sans jamais oublier l’essentiel, le plus important, ce qui nous rapproche et mettre à distance ce qui nous sépare.
Je ne porterai pas de jugement. Est t’il vraiment nécessaire de commenter ou qualifier la misère morale ?
Il n’y a rien de spirituel, mais je sais pardonner, et comme je le dis plus haut, j’aime comprendre, j’aime l’échange, j’aime la rencontre. Ce qui est sur c’est que dans mon tempérament, j’ai un côté chat, un coté félin. Je retombe toujours sur mes pieds, le bon côté des choses, un parti pris.
Porte fermée,
Une journée sur la route
Un beau frère tourmenté et dérangé par son handicape qui attend sa sœur
Porte fermée
Porte fermée
Silence, mon beau frère ne peut parler, la maladie l’en empêche.
Mais il sait pleurer.
Il pleure en attendant sa sœur.
Il pleure de ne pouvoir recevoir sa sœur,
Il pleure de ne pouvoir ouvrir sa porte.
Il pleure de son handicape.
Il pleure l’homme qu’il était.
Il pleure l’homme qu’il est devenu.
Sa femme a fermé la porte sur sa sœur qui a fait plus de mille kilomètres pour le voir.
Il pleure.
Il pleure
La porte est fermée.
Je n’écrirai pas son nom, le nom de sa femme. Mais je comprends que son mal est plus profond et plus terrible que la maladie et le handicape. Quand des étranges sentiments rongent l’esprit et le cœur, il n’y a d’autre remède qu’en soi. Trouver la paix en soi, c’est la première étape pour retrouver le bien être.
Il est terrible de fermer la porte quand on ne sait pas pourquoi.
Il est terrible de ne pas avoir de raison.
« Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim… » ***
Rabah BELLILI
le 28 septembre 2013

*** « La grasse matinée » Jacques Prévert

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