Pour reprendre un néologisme de notre Fellag national, « la gabration » est l’acte de « gabrer », (Verbe du 1er groupe, conjugable à tous les temps et tout âge).
Gabrer : courtiser : art particulier consistant à user de tous subterfuges pour arriver à faire s’exulter le corps.
De nos jours ‘‘gabrer ’’ a pris des proportions qui dépassent tout entendement et de loin, la simple épitaphe de Fellag. A présent, on n’est plus dans l’humour. Quand ça ‘‘gabare’’, ça finit dans la plupart des cas, par le tout charnel. Tout se sait. Tout se tait. Un secret de polichinelle que la pudeur nous dicte de passer, en sourdine !
Un véritable casse-tête que ce sujet !
Dire les choses qui plaisent en condamnant tout et passer ainsi pour un consciencieux à la moralité indéniable ou tenter de trouver des éclaircissements qui blessent et font honte et porter ainsi, le chapeau du libertaire.
Le juste milieu n’étant pas l’apanage du raisonnement, disons les choses non pas telles qu’elles doivent être mais comme sont-elles devenues, réellement. A plus forte raison que le triple saut arrière est périlleux
Nous sommes entrain d’assister à un changement générationnel où l’accès à la légèreté audiovisuelle est plus important que l’encadrement moral qui l’accompagner. Sans doute, le fléau est non pas celui qui entre mais qui sort de nos valeurs ancestrales. Nos aînés avaient avec les grands principes et un charisme de baroudeurs, un boulet de canon aux pieds : La petite dernière à marier ! Marier sa fille ou sa sœur est affaire d’hommes. D’hommes vrais qu’ils furent. Tous !
Le patriarche a parlé. La fille est ‘‘donnée’’…Les choses ont de tout temps fonctionné, de la sorte.
Ce système sociétal était assez bon pour l’époque mais avait marqué ses propres limites. Les filles de familles les plus modestes furent les plus lésées. Belles ou pas, bonnes cuisinières ou pas, leurs chances d’épouser un homme de meilleure situation étaient très minces. On s’affiliait entre familles proches. C’est ainsi que vers douze, treize ans, une jeune fille est déjà promise pour untel. De là, elle va se mettre à apprendre à construire sa vie de future épouse. De son côté, l’heureux élu, travaillera son mental et sa poche, à préparer son foyer. Au besoin, la famille est là, selon ses moyens, pour donner un petit coup d’épaule. Un bon couscous viendra sertir une fête au village. Des bonbons seront jetés, sur la place des tambourins, aux mioches et le drap d’honneur exhibé le lendemain aux yeux-sonars de femmes-pies. Une vie de couple en grande famille commence…
Le privé relève de l’intime. Comment les choses se passaient-elles entre la belle-mère et la bru. Entre le tourtereau et sa ‘‘dulcinée’’….ne nous regarde pas. Par retenue, ne l’abordons pas. Il y a un seuil au-dessous duquel, nous ne pouvons pas descendre.
Le temps n’ayant attendu personne ; de nouvelles mœurs ont fait leur apparition. Elles ne sont pas l’œuvre du destin, mais le fruit de nouveaux us et modes de vie.
Avec le Short Message Service (SMS), le téléphone arabe peut se rhabiller. Pas un fait de société qui ne se répande en temps réel, comme une traînée de poudre. Plus l’objet du scoop, touche les questions du bas-ventre, plus la nouvelle agace la libido. A l’autre bout du fil, le destinateur décortique le message et se gratte le nombril. Illico, il épice l’info puis la fait suivre au suivant qui à son tour s’arrangera pour lui tailler une suite.
Au gré d’une imagination débridée, de fantasmes rarement avoués, du non -droit à disposer de sa vie et d’une histoire de dénonciation qui relève dans certains cas, de pur voyeurisme.
On cherche très souvent à aller dans le détail.
Plus, c’est croustillant, plus le fait a de chance de faire le tour du hameau et au-delà, en un temps record. On s’attarde plus à commenter une maladresse comportementale qu’un acte de grand banditisme.
Beaucoup de choses ont été dites sur la question:
-dénonciation allusive
-constat probable
-procès d’intention
-jugement de valeurs
-conflit d’époque
-récit fantasmatique
-témoignage exagéré
-commérages
…
Les interrogations continueront à alimenter les bavardages des cafés-maures et à anecdotiser les contes de comptoirs.
Voici, une possible explication, à ce mal qui donne tant de mots.
Toute réponse à toute conséquence doit, irréfutablement, se trouver dans sa cause. C’est un besoin capital que ce rapport de cause à effet. C’est ce qui conforte, à juste titre, la rationalité de tout mal de société. C’est plutôt rassurant tant ce sujet n’a rien de savant. C’est un fait !
La morale inspirée des psaumes et des préceptes religieux trop soutenus d’un point de vue lexical semblent avoir échoué. Les formules paternalistes n’ont plus vrai cours, au jour, d’aujourd’hui.
L’individu, en tant qu’élément social veut des explications !
Mais, il ne cherche que celles n’allant pas à l’encontre de son égo. Des éclaircissements plausibles qui ne remettent pas en cause l’intérêt de ses tout nouveaux acquis. Quels sont-ils, donc?
Les multimédias dans toute leur innovation, n’ont pas de limite.
Pour ce qui nous concerne, la limite est du domaine du paternellement moraliste.
Des applications avec leur mode d’emploi explicitement indiquées dans la langue du consommateur de chaque pays importateur sont conformes à la loi universelle des libertés. Mais, sont-ils nombreux les parents à même d’expliciter à leurs progénitures ce qui est bien de ce qui ne l’est pas, en matière de manipulation technologique et de surf sur le net ?
Mais comme, il y a toujours un peu de vrai dans ce qui se colporte, même si l’on a tendance à exagérer beaucoup.
Les questions s’imposent :
-Est-ce la fin de repères civiques ?
-Irons-nous vers une éducation plus permissive ?
Voici quelques réponses qui ont traversé les âges et sont parvenues jusqu’à nous. Aventurons-nous dans l’œil du cyclone. Contrairement aux idées reçues, c’est le lieu le plus sûr.Ca tourbillonne autour, au centre c’est le calme plat. La nature est ainsi faite !
Quand, ça tempête, seules l’éthique est viable et la déontologie fiable. Les deux viennent au secours de la tempérance.
Tempérance : concept d’Emmanuel Kant (philosophe de Prusse 1724-1804) qui la définit comme ‘‘vertu qui canalise les dérèglements dans les mœurs d’une société.’’.
Dans sa théorie « Critique de la raison pure », Kant distingue deux jugements: l’un est dit analytique et l’autre synthétique.
L’analytique lie l’implicite avec l’explicite, tandis que le synthétique exige un détour par l’expérience. Pour Kant, ‘‘la connaissance est le résultat de l’expérience.’’.
De ce fait, dire que notre société kabyle est décadente n’est pas une connaissance mais un jugement analytique (un simple constat).
Auguste Comte (Philosophe positiviste français 1798-1857) n’est pas tout à fait de cet avis.
Il relativise : ‘‘Pour connaître convenablement ce qu’on pense d’une chose est, nous avons besoin de connaître avec une égale netteté ce qu’elle n’est pas.’’.
Pour pénétrer, écrivit-il, le caractère réel d’un mode de penser, il nous faut comprendre quels sont les autres modes de penser qui rivalisent avec lui. En fait de rivalités, les réalités occidentales vers lesquelles notre société kabyle émergente semble s’être définitivement tournée, via le satellite, le net et leurs corollaires, enfoncent le clou. Ainsi sensibilisée avec un rythme effréné sur les libertés individuelles, joue dans le tout imitatif. Être libre de disposer de sa personne et de son corps pèse très lourd sur le conscient collectif.
Le risque ne s’était pas fait attendre.
Sous cet angle, il n’est pas injuste de reprendre le concept dit de ‘‘Compensation ’’de (Georges Duhamel 1884-1966, Commandeur français des Arts et des Lettres) selon lequel ‘‘tout individu longtemps confiné finit par expulser d’un seul jet, le poids d’années de refoulement. Quitte à se faire ou à faire mal…’’
Sigmund Freud (Inventeur Autrichien de la psychanalyse 1856-1939) comme à son accoutumée, n’y était pas allé avec le dos de la cuiller ! Mordicus. Pour lui, tout est basé sur la libido. Misère ou pas misère, démission parentale ou pas, religion ou pas…!
‘‘ Tournez le problème comme vous voudrez, la libido est le nœud de tous les conflits de la vie psychique ’’asséna-t-il, à ses contradicteurs d’alors.
‘‘ La névrose classique, ajouta-t-il, montre clairement que les symptômes, les inhibitions ou l’angoisse sont les effets d’une lutte impitoyable entre les pulsions qui tendent avec ardeur à la satisfaction et le Surmoi qui exerce sa censure vigilante’’.
Comme dans toute répression, l’individu aigri, tend à s’y soustraire.
Quelles solutions avons-nous donc, au travers de tout ce charabia ?
Le Surmoi de Freud parait sinon clair, en tout cas d’une importance capitale. Le Surmoi joue le rôle de gendarme des mauvaises intentions. Quelque peu dépassé par les multimédias et une technologie d’information pointue qui lui arrivent en vrac, le Surmoi freudien, aurait besoin comme qui dirait, d’être mieux armé. L’éducation sur le respect de soi en tant qu’être, et de son corps en tant que personne, peut ouvrir les yeux aux nouvelles générations, non pas à différencier le bien du mal mais sur le danger à confondre désirs et réalités. Fiction et quotidien. Internet et entourage immédiat. Prodiguée à petites doses selon l’âge, comme un sirop, l’information sera mieux assimilée par bien des jeunes ou même moins jeunes que la société a probablement cassés. Est-ce suffisant pour faire fi de toute une vie d’un illustre homme qui a essayé de comprendre puis d’expliquer, l’inextricable psyché dont Dieu, a lui-même, doté l’homme ?!
Il n’y a aucune religion qui n’ait pas traité de la forte faiblesse que constitue la libido, aussi bien chez l’homme que la femme. Ne soyons pas fous. Cela ne sert aucune cause. Laissez-moi vous raconter cette histoire : Il était une fois un sculpteur qui trouva une pierre. Une pierre extraordinaire. Il la traîna chez lui et travailla dessus pendant des mois. Quand il eut fini son œuvre, il la montra à ses amis qui dirent tous qu’il avait créé une statue magnifique. Le sculpteur dit qu’il n’avait rien crée. La statue avait toujours été là. Il l’avait juste dégagée de son revêtement.
En conclusion précipitée :
Il y a cette statue en chacun d’entre nous mais encore faut-il trouver des sculpteurs et ensuite leur donner les moyens de la dégrossir de ses contours pour la révéler dans toute sa splendeur, à la société.
On aura beau user de belles formules, édulcorer des arguments, brandir l’enfer comme châtiment final aux pécheurs, l’homme restera toujours l’homme dans tout ce qu’il est capable, du meilleur comme du pire.
L’argent est à la guerre ce que la libido est à l’homme. Deux nerfs identiques ! Le premier est fait de circonscrits, le second de circoncis.
A moins de castrer tout le monde, il n’est pas de chemin absolu vers la sainte pureté. Partant de cette réalité indéniable, face à un syllogisme inextricable il est urgent de canaliser les ardeurs, en les réorientant de manière organisée vers des maisons de tolérance, qu’il est urgent de rouvrir car on ne peut cacher avec un tamis, le soleil qui brille de mille feux.
Quelles autres solutions ?
Deux acteurs principaux de la vie sociale sont attendus pour aider à tempérer les ardeurs galvanisées par des images importées d’ailleurs en même temps que d’autres chinoiseries.
La discrétion du téléphone portable et l’anonymisation des sites de chats, constituent à eux seuls, l’épée d’Damoclès qui menace de mener la jeune société aux dérapages incontrôlables. et aux conséquences dramatiques incommensurables. Sans moyens logistiques appropriés et la volonté pédagogique d’y faire face, les conséquences qui en découleront seront dramatiques, à plus d’un titre. Que d’assister une fois par an, au conseil des classes de fin d’année, les conseillers d’orientation scolaire pourraient être chargés par la tutelle à l’effet d’animer des séances de sensibilisation sur les dangers du tout virtuel , auprès des élèves des paliers confondus. Une des choses basiques, à ne pas faire, juste pour l’exemple, est de s’enorgueillir que le petit dernier de dix ou douze ans, ait tout ce qu’il faut dans sa chambre, ordinateur à écran plat High Tech et une connexion au net, haut débit. Or, à ces âges-là, la meilleure place pour un ordinateur est dans le salon. Sous le regard discret mais avisé des parents. Il est de bonne guerre de souligner ici, que l’Occident peine encore, malgré une campagne de sensibilisation pharaonique depuis des années sur les dangers d’internet et elle n’y est toujours pas parvenue. N’attendons pas godo et les futures tournantes pour tirer la sonnette d’alarme. Plus on sortira le bâton et les grands discours moralisateurs contre de jeunes immatures, plus il y a risque réel de radicalisation par opposition et provocation.
La réflexologie doit être confiée, en toute priorité à l’école algérienne pour faire baisser en douceur, les risques de contamination d’une ‘‘gabration ’’ à plus grande échelle.
Par T.Taïbi