Parution. Le retour de Jugurtha, de Tassadit Yacine [Jean Amrouche, l’indépendance dans la chair.]

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Parution. Le retour de Jugurtha, de Tassadit Yacine. Jean Amrouche, l’indépendance dans la chair.
Le retour de Jugurtha, c’est le nouvel ouvrage de Tassadit Yacine, publié aux éditions Passerelles. Sous-titré «Amrouche dans la lutte : Du racisme de la colonisation», le livre est une sélection d’articles parus, depuis quelques années, consacrés à Jean El Mouhoub Amrouche, un homme de plume profondément déchiré par l’Algérie.
«En effet, dès 1945, Jean El Mouhoub est habité par la situation algérienne (…) On est dès lors amené à s’interroger — cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie — sur les raisons qui conduisent à cette incorporation de la tragédie», écrit cette enseignante à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris, dans la présentation de l’opus. Celui-ci analyse les mécanismes de prise de conscience de Jean Amrouche, encore jeune poète, vis-à-vis de la domination coloniale et de ses effets sur la culture et la transmission des valeurs. Algérien de confession chrétienne, normalien, proche d’André Gide, l’inventeur des grands entretiens radiophoniques est extrêmement reconnu dans les milieux intellectuels français. Ce Jean, critique littéraire, et ce El Mouhoub, militant de la cause algérienne, est bien complexe, une figure moderne de Janus, lucide et souffrant.
«Jean Amrouche est contraint à se dédoubler parce qu’il prend la parole en tant qu’indigène colonisé et en tant qu’intellectuel français d’origine étrangère. Cette posture est dictée, en réalité par le contexte politique», explique Mme Yacine. La trajectoire du veilleur d’Ighil Ali, d’après la chercheuse, n’est compréhensible que dans un contexte collectif et singulier : celui d’une Algérie colonisée et celui de sa famille qui a vécu l’exil, l’ostracisme et le déracinement comme une profonde blessure. Le massacre de Mai 1945, à Sétif et à Guelma, lui fait prendre conscience du fossé qui s’est creusé entre la France et l’Algérie. Il quitte son statut d’«assimilé» et noue contact avec Ferhat Abbas, dès sa sortie de prison en 1946.
Face au racisme colonial, Jean El Mouhoub développe une réflexion singulière, en généralisant son expérience personnelle à l’ensemble des colonisés. Il puise dans le passé nord-africain de Jugurtha, son modèle de résistance, pour revendiquer, avec un bel entêtement, le droit des Algériens à l’autodétermination. Jean Amrouche établit une frontière entre la France d’Europe et celle d’Afrique, dont le colonialisme raciste a fait un simulacre. «De ce point de vue, Jean constitue une figure emblématique intéressante pour la compréhension des mécanismes qui mènent à l’engagement politique et, du coup, à inscrire son combat dans une forme de mondialisation avant l’heure», analyse la directrice de la revue Awal. Avec la guerre de libération et son cortège d’horreurs, Jean El Mouhoub s’éloigne davantage de sa patrie de «l’esprit» pour se rapprocher de sa patrie de «l’âme». Il est l’un des seuls, avec Michel Rocard, à avoir qualifié de «génocide» la politique des camps d’internement.
Outre la volonté d’informer, Jean Amrouche témoigne, exprime sa douleur, celle de son peuple ; il n’en reste pas moins un pourfendeur. Son engagement passionné, il le payera cher : dispersion des amis, rupture avec sa belle-famille et menaces de l’OAS. Ses textes politiques, compilés en grande partie dans Un Algérien s’adresse aux Français, ou, L’histoire d’Algérie par les textes 1943-1956, publié en 1994, lui vaudront aussi d’être renvoyé en 1959 de la radio française sur ordre de Michel Debré, alors Premier ministre. Incompris par certains, accusé par d’autres d’être «l’enfant qui bat sa nourrice», il quitte Paris et continue ses émissions en Suisse. On retrouve dans cet ouvrage des entretiens inédits de Jean Amrouche réalisés par des journalistes de radio Genève entre mars 1958 et septembre 1959. Son dernier souffle vital, l’ami de Ferhat Abbas, président du GPRA, et Krim Belkacem, chef historique de la révolution, l’emploie en tant qu’intermédiaire du FLN tout en étant l’ami du général de Gaulle et de sa politique de décolonisation.
«Sa fonction de médiation se trouve inscrite dans son double prénom : Jean et El Mouhoub», note Mme Yacine, spécialiste de Monde Berbère. Pris dans «le double étau de fidélités antagonistes», cet «être de feu» est mort d’un cancer du sang, le 16 avril 1962, sans avoir assisté à l’indépendance du pays. Cinquante ans après sa disparition, l’apport tant littéraire que politique de Jean Amrouche à l’Algérie a été occulté par la permanence d’une idéologie «ostraciste». Alors que l’Algérie s’apprête à célébrer son indépendance, n’est-il pas temps de réintégrer pleinement cette arche d’alliance dans la mémoire culturelle et historique de son pays d’origine ?
Hocine Lamriben
EW 21 03 2012

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