Mûr comme une figue que l’on va, bientôt, assécher sur le toit d’une masure en bambou de tala m’nadh. A quelques degrés Celsius de l’été, mon cœur étiolé par un long hiver, s’affole à nouveau. Faut dire que la saison est poussée derrière par un Ramadhan qui court au plus pressé. Comme les fourmis rouges, y’en a qui comme moi, courent pour rien. Celui-ci court à sa gloire. Celui-là court à sa perte. C’est en courant qu’on risque de rater une marche. Alors, j’ai décidé de marcher. Tout court ! Mais en pressant la marche car le bruit qui court, rapporte que les places, partent comme des petits pains. A l’aube, sous les lumières musardes d’une ville aux aguets, il y a une infime chance de revenir en courant avec le sésame, pour partir.
Impassible, la patience endurée, une année durant, a jeté mon dévolu sur un village qu’il me tarde de revoir. Le mien. Leflaye, El-Flaye, Tadart, Adar, Tamurt, Amur, Amermour…, peu importe ! Le village qui m’a vu naître. Les oiseaux champêtres qui m’ont nourri. La famille qui m’a fait. Les amis qui m’ont défait, de l’ennui, des soucis et de mes cigarettes à crédit. Mais, voyez-vous, que l’on vive à Hambourg ou ailleurs, on finira tous à Leflaye, un jour. C’est une question d’amour et de temps. L’amour de son pays. Le pays de ses vingt ans. Le temps de ses premières amours. Celui de ses premiers abords et de sa dernière demeure. Celui de son premier port et de son ultime aéroport. Lorsque le tarmac sonnera le glas d’une vie passée à rêver, à l’envers, de ce que j’ai espéré atteindre le firmament avec un fagot de rêves bidon que je croyais à l’infini, inusables. Alors, je me retrouverai seul, inerte, dans une boîte qu’on payera, cher à expédier. En attendant, je me lève, chaque matin que Dieu fait, avec une ridule. Encore une ! Ca y est, j’ai arrêté de compter. Entre-nous, c’est bien pire, je n’arrive plus à les distinguer, avec mes binocles de taupe.
Je suis revenu en courant et j’ai crié… dans ma tête ‘‘Ouais, j’ai une place pour Vgayet ! ’’. Plus qu’une chose à faire courir : la date du départ. D’abord, une, faussement approximative, pour ceux qui espéreraient me charger comme une bourrique de bagages sans roulettes, puis la vraie à ceux qui n’ont qu’un désir, celui de courir plusieurs fois à l’agence, faire deux heures de queue, pour un seul billet. De préférence, un vol direct sur ‘‘Béjaïa’’. Si possible !
Alger, Sétif, Jijel…, non, non et non ! Atterrir à Jijel à 22h00, c’est comme faire escale à Ouaga, en partance pour Conakry. C’est déjà bien trop long une heure et demie dans les airs dans une carlingue que seul l’air retient dans le vide. On a beau m’expliquer la portance, la poussée, la verticale, la longitudinale, les ailerons et tous les machins bidule, chouette … (Rih fi Rih). Alors, non merci mais je me passerai bien de votre escale !
La veille du jour « J » arrive. Opération tri. Nom de code : papelards. Tout au peigne fin. Celui-ci, on ne sait jamais ! Celui-là, c’est parce qu’on en sait que trop. Pourquoi courir le risque de se faire marcher sur les pieds quand on peut faire marcher un deux-pieds. De plus, ça marche ! Allez, vingt-six heures du matin, tous les papiers sont finalement, bons à prendre.
Dire que le tri n’a servi à rien, c’est ne pas connaître le stress qu’encourent les partants qui accourent vers un séjour de quelques jours. C’est très courant ! Les ceintures solidement attachées, après l’inutile démonstration de sécurité, d’une coquette hôtesse de l’air, c’est parti pour un slalom entre les nuages. A douze milles miles d’altitude, pas âme qui sourit. Même les plus acharnés des athées, recouvrent la foi. Les cumulonimbus, les zones de turbulences et les trous d’air, sont ce qu’il y a de meilleur pour remettre un égaré sur le droit chemin. Dommage que c’est sacrément cher payé, le billet. Voilà que l’impact du train d’atterrissage qui vient embrasser la piste rend le sourire. Je crois que c’est le seul bruit au monde qui est agréable à entendre. Je me demande si l’on ne devrait pas payer une taxe supplémentaire, pour avoir le droit de l’entendre un peu plus tôt. Ca y est tout le monde est cool. (Pardon. Asmahli. On a fait vite, ça va, hein ! Nooon, on a de bons pilotes quand-même. Après vous…).
Un soudain instant de courtoisie extrême. Ce qui explique largement le « Rih fa Rih », de toute à l’heure.
Salle de débarquement: l’aéroport grouille de monde. Le policier m’a contrôlé. Rien à signaler, je n’ai tué personne. Etape suivante : les bagages. Et là, je ne sais pas pour vous mais avec moi, c’est toujours la même histoire. Je récupère tous mes cabas en une seule rotation, sauf un ! Il n’arrivera jamais, celui-là. Ah, si seulement, je pouvais m’en fumer une. Le voilà, qu’il surgit de loin. Je le reconnais à au moins dix repères greffés dessus. Tout signe de reconnaissance est à envisager: des ficelles de couleurs nouées, des papiers agrafés, un petit pan, volontairement passé au cutter… Dernière étape et pas des moindres : le douanier m’a fouillé. Y a dans ma valise quelques bonbons. Je n’ai rien à déclarer qu’une année de nostalgie. Un cœur gros comme ça et une mine enchantée. Je viens revoir les miens, j’y repense avec émoi. Oubliez que je suis émigré, je suis ici chez moi. Oui, j’ai quelques euros cachés, mis de côté, après onze mois, mille et un soucis. J’ai une écharpe pour ma mère, un gilet pour mon père. Une cane pour grand-père, un foulard pour grand-mère. J’ai deux, trois tee-shirts et des rasoirs pour mes frères. Des parfums et quelques écharpes pour mes sœurs. Aux copains, des briquets pour rallumer nos souvenirs, lorsqu’on ira siffler une bouteille d’enfer, en plein air. Tout ce que j’ai à déclarer, ici, monsieur le douanier, c’est un vœu très cher. Celui d’aller vagabonder dans les dédales de naguère. J’irai me perdre dans ma mémoire. Sans armes et sans haine. Juste qu’avec des mots, j’irai lui faire la guerre. Qu’est-ce que j’ai à déclarer, dites-vous ? Je vais vous dire ça, monsieur le douanier: Je déclare solennellement, une vie de bohême qui laisse ses quatre sous, entre les taxis et les avions. Une vie, éternellement, provisoire entre mon fantasme dit insensé de rentrer définitivement au pays et ma triste réalité d’avoir peur de le faire. Quoi d’autre ? Oui, pardonnez-moi, vous avez raison, je vous ai caché ceci : dès lors que j’ai posé mes pieds ici, le compte à rebours du retour est déjà enclenché. Deux heures là-bas, deux dans l’avion deux avec vous. L’addition, s’il vous plaît ! Que voulez-vous que je déclare monsieur le douanier ? Que sur les quarante ans passés à l’étranger, à raison d’un mois par an, je n’aurais vu ma famille, en tout et pour tout, que quarante mois. Soit moins de quatre ans sur une quarantaine d’années ! Que je n’ai pas vu mes parents vieillir. Que je n’ai pas pu faire mes adieux à un ami mourant. Que je suis totalement déconnecté d’ici et de là-bas où je ne me sens chez moi que dans mon logement. Que pour ne pas péter un plomb, je doive me déplacer à des kilomètres pour revoir mes compatriotes et parler du pays. Que je doive continuer à m’intéresser aux affaires du village pour me sentir utile et des leurs. Attendez voir. Qu’ai-je à déclarer encore ? Oui, ça y est ça me revient. Que ferai-je à soixante ans ? Pendant que vous, profitiez de vos enfants et petits-enfants, moi je doive me tenir la joue à attendre que mon téléphone sonne. Qu’on daigne prendre de mes nouvelles. Comment vivrais-je seul au village ? Et que ferais-je, là-bas, à soixante-dix ans dans un pays qui n’a et ne sera jamais le mien ? Voulez-vous que je continue ou vous me laissez passer, monsieur le douanier car je n’ai rien d’autre à déclarer. Mais, dites donc, je vous sens encore soupçonneux, monsieur le douanier. Je vous rassure, je ne suis pas venu faire le beau. J’ai passé l’âge. Je ne suis pas venu jouer aux riches, je n’ai pas le sou. Je ne suis pas touriste, les cloaques de mon village s’en souviennent. J’en porte encore les cicatrices. Oui, je suis assez correctement vêtu, mais c’est le genre de chose qu’on fait généralement, quand on part pour un grand voyage, non ! Oui, dernière chose mais je crois vous l’avoir déjà avouée. J’ai quelques euros, mais ils ne sont plus à moi. Ils serviront à soulager, un tant soi peu, les gens qui comme moi, ont dû un jour, se résoudre à partir. Voilà, cher monsieur, je n’ai rien d’autre à déclarer. Ce sera la même chose l’an prochain puis l’autre ainsi de suite, jusqu’au jour où vous n’oseriez plus courir m’interroger car vous me saurez à bout de couse, revenu, d’un dernier voyage, les pieds devant. Alors, s’il vous plaît, laissez-moi passer. Je n’ai rien à déclarer !
Tahar Taïbi
Azul fellawen,
Suite à l’article ci-dessus, un cousin et un ami m’ont passé un petit coup de fil , hier soir, pour savoir si j’allais bien (mentalement, je veux dire !!!) . J’ai trouvé ça, à la fois sympa et marrant. On en a d’ailleurs, profité pour échanger de nos nouvelles. Je les ai rassurés, bien sûr 🙂
Je me suis permis ce petit commentaire juste pour dire, que je prends, énormément, de plaisir à m’exprimer sur ce site que j’apprécie tout autant que son administrateur qui est un pionnier en la matière. Pour dire aussi et surtout, qu’un billet ou une chronique ont pour but principal d’aborder un sujet, d’une façon, un peu romancée. Ca ne reflète, en aucun cas, la vraie personnalité de celle ou de celui qui les écrivent. Pour ma part, je vais bien et je n’ai jamais été embêté par un douanier, ni par qui que ce soit, d’ailleurs. Pas plus que je ne suis nostalgique, à ce point !
Comme tout le monde, j’aime mon village, mais sans plus. « Tout le reste n’est que littérature », comme on dit.
Amicalement
T.T
sahit a chikh tahar,
tu veux donnér envie à tout le monde de rentrer ou quoi !
En tout cas. Bravo, cé tré touchant !
Et bonne chance avec la douane 🙂
hi everybody,
Avant tout, je tiens a remercier toute les personnes qui travaillent et qui essaient d’apporter un plus a ce site LEFLAYE.
Parmis ses gens la,Tahar taibi qui etait professeur de francais depuis des annees. UN amoureux de la langue francaise, on m’avait dis qu’a sont enfance il aimait jouer au jeux de mots avec ses amis,et surtout il etait tres fort a ce que on m’avait dis….et aussi un brave type.
Comme tout les jeunes Algriens,lui aussi il revait d’aller s’exiler en france,et de mener sa vie comme nous souhaitons tous une vie plein de bonheur et de reussite …..etc si je continu je finirais par une biographie de tahar.
je reviens sur cette article a tahar,il faut vraiment vivre a l’exile pour sentir ce que tu disais. Y a un proverbe en anglais qui dit: »anywhere life takes you,you have to be strong and fight for what you want and what’s best for you. »
je tiens a te remercie pour tout taravail que tu fais, et surtout bonne continuation.LEFLAYE a besoin de gens comme vous .
amicalement.
HADI H
philadelphia usa.
Bravo Tahar pour ce magnifique article j’ai vraiment apprecie c rare ou sont les gens qui utilisent ce français je pense meme que les français ne peuvent former une phrase expression comme ça c vraiment honnorant pour quelqu’un de notre cher village leflaye thadart des gens instruis eduque!!!!! au jalouussss!! allez tahar bon courage et vive notre EL FLAYE
sahit ada-khimi,
Ouallah arst3arfagh fellak à Lyes nagh !!!
al mouhime la douane matchi mouchkil . Rana h’na a chikh nagh tahar
Sosso !